Narrer c’est raconter. Raconter ce que l’on a lu, ce que l’on a entendu, ce que l’on a vu, ce qui nous a été dit. Avec nos propres mots, avec notre propre compréhension de la chose en question.

C’est un processus naturel.

La narration est un art, comme la création de poésie ou la peinture, car elle est là, dans l’esprit de chaque enfant, à découvrir, et n’est le résultat d’aucun processus d’éducation disciplinaire.

Charlotte Mason, volume 1, p. 231

Charlotte Mason l’a compris et s’étonne que ce don humain soit “laissé en jachère”, voire pire, méprisé.

“Laissez-le raconter, et l’enfant raconte, couramment, copieusement, dans une séquence ordonnée, avec des détails ajustés et graphiques, avec un choix juste de mots, sans verbosité ni tautologie, dès qu’il peut parler avec aisance.”

Par ailleurs, Charlotte Mason a peut-être percé le secret du babillage des bébés :

“Est-ce là le secret des étranges longues conversations que nous regardons avec amusement entre des créatures de deux, quatre et cinq mois ? Est-il possible qu’ils narrent alors qu’ils sont encore inarticulés, et que l’autre personne inarticulée comprenne tout ? Ils essayent avec nous, pauvres chers adultes, et nous répondons « oui », « vraiment » , « Pensez-vous que oui ? » au babillage dont nous n’avons aucune compréhension. Quoi qu’il en soit ; de ce qui se passe dans la région sombre des « moins de deux ans », nous n’avons aucune assurance. Mais attendez que le petit bonhomme ait des mots et il « racontera » sans fin à quiconque écoutera son histoire, mais, de préférence, à ses propres camarades.”

N’est-ce pas prendre l’enfant pour un abruti ?

Quand j’ai découvert la narration, j’en ai bien compris la méthodologie mais peut-être moins l’utilité. Aussi, lorsque j’ai demandé à mon aîné d’effectuer ses premières narrations formelles, je n’étais moi-même pas convaincue.

Pourtant, Mason dit que “si nous avons des yeux pour voir et de la grâce pour construire, c’est le plan de base de son éducation.” Vous le comprenez, la narration est fondamentale dans cette pédagogie. Alors, “prenons les biens que les dieux fournissent.”

Mais il ne faut pas l’utiliser avant les 6 ans, comme pour beaucoup d’autres choses, car “chaque effort de ce genre, aussi inconscient soit-il, entraine l’usure de la substance cérébrale”.

Certaines personnes seront réticentes à mettre en place la narration car elles pensent que ce n’est qu’une étape de “vérification”. Or si on pense la narration de cette manière, c’est ce que l’on transmet automatiquement à nos enfants.

La narration ce n’est pas juste vérifier. La narration c’est intégrer la connaissance, c’est se l’approprier, c’est organiser ses pensées, les structurer et apprendre à se faire comprendre des autres sur un sujet précis. Narrer n’est pas répéter. C’est raconter avec ses mots, avec son style, c’est développer son caractère, ses qualité futures d’écriture et de composition.

Il y a beaucoup de choses qui témoignent de notre condescendance envers les enfants mais l’exercice de la narration n’en fait pas partie.

Comment commencer la narration ?

A mon avis, la première chose à faire est de vous sentir en accord avec cet exercice, en comprendre l’importance. Puis l’expliquer en amont à votre enfant. C’est un exercice qui n’est pas vide de sens, c’est un échange basé sur sa compréhension. Aussi, je préfère demander “qu’as-tu compris de ce récit ?” et ne pas hésiter à donner mon avis aussi, plutôt que “qu’est-ce que j’ai dit ?”. Les plus bavards seront aux anges.

“Quand l’enfant a six ans, pas avant, laissez-le raconter le conte de fées qui lui a été lu, épisode par épisode, à chaque fois qu’il en a entendu un ; le récit biblique qui lui a été lu dans les paroles de la Bible ; les histoires bien écrites sur les animaux ; ou un livre sur d’autres pays tel que The World at Home.”

Choisissez un bon livre puis discutez du dernier passage lu (et amenez les enfants à le faire) afin “que les enfants puissent être animés par l’attente”, et qu’ils puissent mettre en relation les choses et les évènements de l’histoire.

Ensuite, lisez 2 ou 3 pages et demandez aux enfants de narrer, à tour de rôle, s’ils sont plusieurs.

“Non seulement ils narrent avec esprit et précision, mais ils réussissent à saisir le style de l’auteur. Il n’est pas sage de les taquiner avec des corrections ; ils peuvent commencer par une chaîne sans fin de « et », mais ils laissent bientôt cela de côté, et leurs narrations deviennent suffisamment bonnes en style et en composition pour être imprimées dans un livre !”

Quelle nourriture pour l’esprit ?

Tout peut-être narré mais certaines lectures nous animent plus que d’autres et augmentent la qualité de notre narration, simplement du fait que le contenu est beaucoup plus nourrissant !

Charlotte Mason considère que les enfants ont le droit au meilleur de la littérature. Chaque idée, chaque lecture est comme de la nourriture pour l’esprit. Et les enfants sont capables d’aborder le matériel de connaissance le plus sérieux. Considérez chaque livre comme de la nourriture et demandez-vous à quel aliment cela correspond. Il y a des bonbons, des sucreries, plaisantes, faciles, agréables mais mauvaises pour la santé. Il y a des mets industriels, pas chers, peu qualitatifs, peu nutritifs mais qui “calent”, et puis il y a des bons fruits pleins de vitamines, de la viande d’animaux bien nourris et bien traités, du fromage bien affiné…

“Le garçon de sept ans aura commencé à lire en autonomie, mais il doit obtenir la plupart de ses nutriments intellectuels, par l’oreille, assurément, alors lisez-lui les livres à voix haute. La géographie, des croquis de l’histoire ancienne, Robinson Crusoe, The Pilgrim’s Progress, Tanglewood Tales, Heroes of Asgard, et beaucoup d’autres du même calibre, l’occuperont jusqu’à l’âge de huit ans. Les points à garder à l’esprit sont, qu’il ne devrait pas avoir de livre qui n’est pas un classique pour enfant ; et que la lecture ne doit pas être diluée dans un flot de paroles ou interrompue par des questions. Elle doit être faite au garçon dans des proportions convenables et donnée comme viande saine pour son esprit, dans la pleine confiance que l’esprit d’un enfant est capable de faire face à sa nourriture appropriée.”

Et vous, utilisez-vous la narration avec succès ? Ou rencontrez-vous des difficultés pour la mettre en place ?