Quand mon fils a eu 4 ans, je me suis intéressée à la question de la représentation des personnes racisées dans les livres pour enfants, et plus particulièrement ceux mettant en scène au moins un personnage noir ou afro-descendant. J’essayais de choisir des livres où ces personnages semblaient évoluer dans une culture proche de notre culture européenne et qui ne traitait pas explicitement de la couleur de peau en tant que problème. Ces derniers, que j’appelle des « livres médicaments », sont importants mais je plaide pour simplement enrichir la représentation de personnages de toute couleur de peau dans de belles histoires qui font rêver et accompagne les enfants dans leur épanouissement.

Parler de racisme selon les âges

La question du racisme s’aborde différemment selon les âges. Avec de jeunes enfants, il est surtout important d’en parler de manière positive. Il ne s’agit pas de nier les différences car ils les perçoivent, mais de leur dire que le monde est composé d’êtres différents, avec des couleurs de peau et des accents différents, de la même façon « qu’il y a plusieurs variétés de fleurs, mais toutes sont belles » (phrase entendue ou lue quelque part mais je ne me souviens plus où…).

Plus les enfants grandissent, plus il devient nécessaire d’apporter un éclairage plus réaliste aux questions de race. Nous sommes d’accord, la race au sens biologique du terme n’existe pas. Mais la race est une construction sociologique qui fait que certaines personnes sont victimes de racisme. Ils font donc l’expérience de la race. Personne n’a véritablement la peau noir ou blanche, ou jaune, ou même rouge. Notre couleur à tous est un camaïeu de brun allant des teintes les plus claires aux plus foncées.

Une partie de l’histoire de l’humanité, qui nous concerne toujours aujourd’hui, s’est construit sur ces couleurs artificielles. Le nier c’est nier la violence dont sont victime les personnes « non-blanches ». C’est comme nier l’antisémitisme dont sont victime les personnes juives, c’est comme nier le sexisme dont les femmes sont victime, c’est comme nier l’homophie dont les homosexuels sont victimes… C’est nier nos différences parce-qu’il est plus positif de parler de nous en tant qu’être humain, en tant que citoyen du monde. Mais l’un n’empêche pas l’autre et dans un monde merveilleux et utopique c’est la façon dont nous nous définirions tous. Mais actuellement, ce n’est pas encore possible car c’est une vision biaisée et idéalisée. Peut-être que la première étape serait de pleurer un bon coup et d’admettre que malgré toute notre bonne volonté, il y a beaucoup beaucoup de travail et que le chemin sera long. Mais nous le devons à nos enfants, nous leur devons d’être franc, d’être juste.

Le regard des autres agit sur notre façon de nous définir

Les parents d’enfants non-blancs savent que pour que leurs enfants réussissent, il faut qu’ils en fassent plus que les autres. Parce-que nous savons que des idées reçues leur colleront à la peau (sans mauvais jeu de mot). Nous savons que leur identité pourra leur être nié. Nous connaissons les statistiques liées aux inégalités sociales. Nous avons même été confronté au racisme avec notre conjoint et avec nos enfants. Nous avons du faire face à des injures, nous avons du faire face à des phrases telles que « j’aime pas les noirs », nous avons du expliquer pourquoi le voisin du deuxième dit bonjour à maman mais pas à papa, nous avons assister à des faits plus grave encore qui me donnent le tournis quand je pense aux gens qui disent que le racisme n’existe plus en France. Par exemple, ce stade de rugby vociférant « sale noir, rentre chez toi » ou ce malade mental (un ancien voisin) découpant une voiture à la tronçonneuse en hurlant « sale négro »… Oui oui, vous ne rêvez pas !

Nous savons, même si nous ne voulons pas l’admettre ou le voir que nos enfants seront réduit, un jour ou l’autre, à la couleur de leur peau et que les idées reçues de ces gens qui distingueraient les capacités physiques et mentales des blancs et des noirs feront vivre une expérience traumatique à nos enfants. Rokhaya Diallo expliquait qu’elle n’avait pas grandit dans un environnement où elle se sentait « la minorité ». C’est en grandissant, en accédant à de hautes études qu’elle est devenue une minorité.

Nous nous définissons principalement dans le regard des gens alors il faut comprendre que si, d’ores et déjà, notre couleur de peau nous associe à des idées reçues, cela va caractériser notre parcours de vie. Nous ne nous sentons pas différents à notre naissance parce-que nous sommes noirs ou arabes ou blancs, c’est l’autre qui va nous rendre noir ou arabe. Les français blancs n’ont jamais eu à expliquer qu’ils étaient français contrairement aux français noirs à qui on nie l’identité (avec des questions du genre : « Tu viens d’où toi ? » – « De Massy. » – « Non mais de quel pays ? » ou « C’est comment chez toi ? »). Il n’y a qu’en armant nos enfants, en nous armant nous-même que nous pouvons combattre ces idées ; et en nous rappelant que ce n’est pas parce-que ce n’est pas notre vérité, que ça n’existe pas.

L’école française, « championne des inégalités »

Je parle de l’école de temps en temps, même si notre truc à nous c’est l’école à la maison et que c’est ce sujet avec lequel je me sens le plus à l’aise. Toutefois, je sais que des personnes qui mettent leurs enfants à l’école s’intéressent à l’école à la maison et qu’il y a peut-être même des profs qui viennent me lire… et étant donné que ça concerne la majorité des enfants, voici ce qui me semble important à dire.

Le rapport PISA de 2013 a démontré que la France perpétue et légitime les inégalités initiales au point qu’elle est le pays dont l’écart entre les « bons » et les « mauvais » élèves est le plus important (sur les 65 pays étudiés).

Des enfants peuvent faire l’expérience du racisme au sein de l’école :

  • au contact des autres enfants,
  • au contact de l’équipe pédagogique,
  • et avec l’institution quand, par exemple, elle rejette le port du voile pendant les sorties scolaires.

Dans le podcast « Kiffe ta race » au sujet de l’école, il est très bien expliqué à quel point les enfants sont des éponges et voient très tôt les races sociologiques. Le fonctionnement d’une classe est une version miniature de notre société qui a été bâtie sur des siècles de domination. Ce qui fait que même les enseignants, sans le vouloir, reproduisent au sein de l’école des logiques qui prédominent à l’extérieur. Nous savons que les orientations scolaires sont influencées par la perception qu’on a de l’élève, de sa famille, de sa capacité à s’insérer professionnellement… L’idée que « quand on est enseignant, on ne peut pas être raciste » est un déni total du vécu de l’élève et du parent. Ce que tout le monde a besoin, ce sont des clefs pour appréhender ces questions raciales et non pas les mettre sous le tapis en faisant mine qu’il n’y a pas de problème.

Je crois qu’il est juste et normal de vouloir apprendre l’histoire qui nous a faite. Imaginez quelle violence c’est de découvrir une autre version du passé quand on devient adulte, une version où l’on « nous » a caché alors que « nous » étions là. L’école perd en légitimité. Parlons-leur des hommes et des femmes qui ont fait l’histoire qui les concerne. C’est tellement important de comprendre qui on est, d’où l’on vient pour savoir vers où l’on va. Il n’y a rien qui m’a plus fait vibrer que le livre de Lydie Salvayre « Pas pleurer » parce-que je suis petite-fille d’immigré espagnol et que je me sens directement concernée par la guerre d’Espagne. Parce-que je projette mon histoire, parce-que je sais que des êtres que j’aime à la folie ont vécu ça. Que cette histoire coule dans mes veines.

Tous les parents n’ont pas un capital culturel hyper développé. Et comme j’adore cette expression de Charlotte Mason, je la répète encore, nous ne sommes pas les showmen de l’univers ! Nous ne savons pas tout. Qu’est-ce que l’on peut faire dans ce cas ? Pour moi la réponse est simple : diminuons les heures d’écrans et encourageons nos enfants à lire de bons livres. S’ils ont du faire face à une remarque raciste, l’écoute, la confiance et le partage d’expérience sont importants. Si nos enfants sont blancs, apprenons-leur à prendre position s’ils assistent à des remarques racistes. Il y aura toujours besoin de beaucoup de conversations. Je pense également aux ados qui ont accès à internet ou aux réseaux avec leur téléphone : qu’ont-ils vus ? Qu’en ont-ils pensé ?

Ce que va apporter les living books

Le concept de Living Books de Charlotte Mason est d’une importance capitale pour moi car elle va permettre de véhiculer les idées des personnes concernées par le racisme. Les Living Books ne seront pas les livres qui « traitent de la couleur de peau » ou des petits documentaires sur « le racisme à l’école » – bien que je ne refuse pas l’existence de ces livres – ils seront les romans qui nous feront rêver, ils seront les autobiographies qui nous feront rire et pleurer, ils seront les livres politiques qui nous feront nous lever.

Je dirai qu’à partir de 10 ans, ces livres commencent sérieusement à devenir nécessaire bien que je laisse à chaque parent son appréciation dans ce choix. Ils doivent faire partie intégrante du cursus scolaire de l’école à la maison. Ils doivent être lus, narrés, débattus et être le point de départ de composition écrite.

Les enfants se développent et ont tendance à vouloir se conformer à un idéal. La pré-adolescence est le début de cette phase hyper normative, phase pendant laquelle les enfants tiennent un discours de plus en plus moral, où ils développent leurs opinions et un sens aigu de la justice.

L’éducation a donc un rôle important à jouer. D’autant plus que l’expérience du racisme est multiple et complexe : en France, il y a des noirs d’origine africaine et des noirs descendant d’esclaves dont les ancêtres ont été déportés. Nous devons donc fournir des livres qui parlent d’esclavage, de colonisation, d’immigration… de tous ces évènements qui sont à la base du racisme. Et cela revient à la même chose pour les personnes d’autres origines. Il est important de connaitre son passé pour comprendre son présent et construire son futur.

Donner le goût de la diversité n’est plus suffisant, il faut aller plus loin. Il faut que Nelson Mandela, Lilian Thuram, Rosa Parks deviennent les professeurs particuliers de nos enfants. Personne ne saura le faire mieux qu’eux à travers leurs histoires, leurs discours, leurs idées.