L’année dernière, une personne m’a soufflé l’idée que Keyo serait sûrement précoce, puis une deuxième personne, puis une troisième… J’ai tiqué sur le terme. Précoce ? Cela veut dire quoi ? Cela expliquerait donc son comportement hyper sensible ? Aussi adulte que bébé, extravertie qu’introvertie, concentré que distrait, calme que bouillonnant, sociable que solitaire ? Je ne voudrais heurter personne dans cet article car j’ai récemment pris position (même si quelques doutes peuvent subsister parfois car je crois en un système qui favorise les individualités et l’épanouissement… de tous les enfants). Après avoir réfléchi pendant plus d’un an là-dessus, après avoir failli faire un test chez un psy pour Keyo, après avoir lu et relu des articles de blogs traitant de cette question, après avoir suivi des forums, des groupes Facebook, après en avoir parlé, après avoir cru… je pense maintenant que la précocité, en tant que don génétique, n’existe pas. J’insiste sur le terme « don génétique » car je ne nie pas la diversité des facultés intellectuelles, qu’il y ait différents talents, des enfants avec beaucoup d’avance dans certains domaines, … Je crois que si la précocité existe, elle vient surtout d’ailleurs, et plus précisément de notre construction sociale. Ce que je refuse c’est l’idée de hiérarchiser les enfants, que certains seraient des cas désespérés, que l’école nivelle par le bas à cause de certains, etc. Quand je dis que je ne crois pas en la précocité, je veux surtout dire que je n’aime pas le terme en fait, car nous le verrons un peu plus bas, les précoces ont beaucoup de points communs.
Je pense qu’il y a à la base un environnement social différent d’un enfant à l’autre, que l’intelligence est une notion floue qui recouvre certains savoirs différents d’une époque à une autre et d’un pays à un autre, je crois qu’il y a plein de personnes douées, plein de personnes intelligentes, plein d’enfants différents et qui se ressemblent, je crois en la plasticité cérébrale, à l’étendue des émotions, j’aime la culture populaire, je pense qu’il y a une institution scolaire qui ne convient pas à tous les enfants, qui valorise certaines intelligences, je pense qu’il y a des parents investis de différentes façons dans l’éducation de leurs enfants, je pense qu’il y a une société où le savoir est de plus en plus accessible, que le niveau de culture augmente pour tout le monde, mais que certaines familles en sont plus dotées que d’autres, et avec cela des enfants de plus en plus ouverts, curieux et qui emmagasinent des informations de plus en plus jeunes. Je pense que tout cela produit des interrogations, je pense qu’on passe de plus en plus de temps avec nos enfants, qu’on les protège de plus en plus et que dans ce monde qui va mal, on place de plus en plus d’espérance en eux, comme des missionnaires de paix pour le futur.
Amis lecteurs, laissez-moi vous expliquer pourquoi j’y ai cru et pourquoi je n’y crois plus vraiment, ou plutôt que j’y crois mais autrement. Je sais qu’il y a parmi vous des parents d’enfants dits précoces. Offrons-nous l’opportunité d’en parler sans nous juger. Je crois qu’il y a d’autres façons d’aborder le sujet. Ce qui m’a intéressé dans la précocité, c’était de comprendre pourquoi elle me mettait si mal à l’aise. Pourquoi est-ce qu’à un moment j’ai pensé que Keyo était précoce et pourquoi, peu de temps après, j’ai préféré lâcher l’idée, ayant trop peur de le mettre dans une case et de l’étiqueter. Et s’il était juste lui ? Avec sa palette d’émotions, sa personnalité en construction, son âge ? Et si, j’essayais juste de trouver quelque chose pour me rassurer ? En disant qu’il est précoce, cela ne me permettrait-il pas simplement de mettre un mot sur quelque chose que je ne comprends pas, c’est-à-dire lui ? Cette enfance, cette fougue, cette impertinence ! N’est-elle pas une étiquette comme une autre ? Un moyen de se rassurer ? De dire « oui mais c’est parce-qu’il est précoce ».
Cela fait un an que je tangue d’un bout à l’autre : un coup, j’y crois, et l’autre coup, cela me met mal à l’aise. Un coup, on rencontre un problème et hop, je rattrape au vol cette précocité. Puis, le reste du temps, tout va bien, alors je n’y pense plus. Et puis, que signifie précocité ? Voici la définition du Larousse : « Caractère de ce qui est en avance sur le temps normal : La précocité de l’hiver. Développement prématuré d’une faculté intellectuelle ou d’une aptitude physique : Précocité de l’intelligence. » Je crois que c’est assez réducteur de simplement parler d’avance, quand d’autres parlent aussi de différences.
En y regardant d’un peu plus près, en consultant les sites, les blogs, les groupes Facebook, j’ai eu l’impression qu’il y avait deux écoles qui pouvaient se confondre : une précocité définit comme un don dans un ou plusieurs domaines et une précocité définit comme une « intelligence émotionnelle », à savoir une hypersensibilité. Mais plus ça va, plus j’ai du mal à saisir cette sensibilité exceptionnelle. C’est simple lorsque je lis les 6 profils de l’enfant précoce sur « Tribulations d’un petit zèbre », j’ai l’impression que n’importe qui peut s’y retrouver. Lorsque j’ai lu que nous étions 300 000 précoces en France mais que la plupart des gens ne le savaient pas, j’ai commencé à évaluer toutes les personnes autour de moi et à me demander si elles étaient précoces ou non : caractère un peu spécial, expert dans un domaine, en échec scolaire, curieux de tout, beaucoup de remises en questions, … Bref, un tas de traits de caractère qui pouvaient toucher n’importe qui dans mon entourage et qui me donnait pour chacun une raison de me dire qu’elle était peut-être précoce.
J’ai également appris que la précocité avait un caractère héréditaire… C’est marrant, j’ai tout de suite pensé à mon mari (aaaah c’est pour çaaaa ! Genre tout s’explique : pas fait pour l’école, il s’ennuyait peut-être…). Idée reçue ? Nous sommes de nombreuses mères à penser que la précocité de nos chérubins viennent de nos hommes. Pourquoi ? Ah ah, je laisse un peu de suspens, les réponses seront un peu plus bas…
Non, la manière courante de définir le surdouement, c’est en l’officialisant par un test de QI. Pour en être certain, il faut aller chez le psy et faire faire un test psychométrique à notre enfant qui doit se révéler supérieur à 130… (et un doute subsistera quand même si la réponse est négative, l’enfant peut avoir répondu n’importe quoi parce-que ça le faisait rire de jouer à plouf plouf…). 500 euros en moyenne, ça fait cher le label.
Allez remontons un peu au temps de Binet svp, il y a un peu plus d’un siècle.
Aux origines de l’intelligence
« L’intelligence, c’est ce que mesure mon test ! » lança Alfred Binet en 1905. Pour une définition précise, on reviendra ^^ Pour faire court, à la fin du 19ème siècle, dans le contexte de la naissance de l’école républicaine rendue gratuite et obligatoire pour tous, on demanda au psychologue Alfred Binet et au médecin Théodore Simon de concevoir un moyen de repérer les « enfants anormaux » (ceux qui n’arrivaient pas à suivre l’enseignement) à l’école.
Pour décrire leur invention, « l’échelle métrique de l’intelligence », Binet nous dit : « L’idée directrice de cette mesure a été la suivante : imaginer un grand nombre d’épreuves, à la fois rapides et précises et présentant une difficulté croissante ; essayer ces épreuves sur un grand nombre d’enfants d’âge différent ; noter les résultats ; chercher quelles sont les épreuves qui réussissent pour un âge donné et que les enfants plus jeunes, ne serait-ce que d’un an, sont incapables en moyenne de réussir ; constituer ainsi une échelle métrique de l’intelligence qui permet de déterminer si un sujet donné a l’intelligence de son âge, ou bien est en retard ou en avance, et à combien de mois ou d’années se monte ce retard ou cette avance. » Donc, pour résumer, certaines épreuves correspondent à un âge et leur réussite déterminera l’âge intellectuel de l’enfant. La première façon de définir l’intelligence a donc été par la comparaison, la hiérarchie.
Arrive peu de temps après, le plus répandu et le plus connu des tests : celui du QI développé d’abord par William Stern en 1912, qui, comme son nom l’indique, est un Quotient Intellectuel, soit une mesure chiffrée de l’intelligence. On arrive à ce qui nous intéresse, à savoir sur quel raisonnement se fonde cette mesure de l’intelligence par les tests de QI ? Qu’est-ce que leurs inventeurs cherchaient à démontrer en quantifiant l’intelligence ?
Une intelligence VS plusieurs intelligences
D’abord, les inventeurs pensaient que l’intelligence formait un tout, une unité. Aujourd’hui, cette thèse a été rejetée. On conçoit l’intelligence comme pluridimensionnelles. Robert Sternberg, psychologue américain, a proposé une théorie triarchique de l’intelligence :
- l’intelligence analytique, abstraite et déductive caractérise par la capacité à accomplir des tâches scolaires de résolution de problème, telles que celles utilisées dans les test de QI. Ces types de tâches présentent des problèmes bien définis qui ont une seule réponse correcte ;
- l’ntelligence créatrive, mettant en œuvre l’imagination, l’invention et la capacité à s’adapter à des situations nouvelles. Les individus possédant une grande intelligence créative peuvent donner de « fausses » réponses parce qu’ils voient les choses d’une façon différente (Wikipedia);
- l’intelligence pratique, permettant une bonne adaptation au contexte par des connaissances existantes qui, contrairement aux connaissances formelles apprises essentiellement à l’école, sont acquises de manière implicite et informelle, par la pratique. L’individu comprend ce qu’il est nécessaire de faire dans une situation donnée et, alors, il le fait.
Par ailleurs, en 1983, Howard Gardner a théorisé son concept d’intelligences multiples. L’individu n’a plus une seule forme d’intelligence, ni 3 formes mais 8, susceptibles de fonctionner indépendamment mais qui peuvent interagir entre elles : verbale/linguistique, logique/mathématique, visuelle/spatiale, musicale/rythmique, corporelle/kinesthésique, intrapersonnelle (capacité à se comprendre soi-même), interpersonnelle (capacité à comprendre autrui), naturaliste.
Ces différentes formes d’intelligence sont pour la plupart inaccessibles aux tests psychométriques classiques, qui ne mesurent que la forme logico-mathématique et langagière de l’intelligence (analytique), deux formes d’intelligence valorisées par le système scolaire français, ce qui expliquerait, assez logiquement, que l’on trouve de fortes corrélations entre le QI et le niveau scolaire.
L’intelligence est-elle héréditaire ?
Le problème avec l’hérédité c’est quand on réduit l’intelligence à un gêne, à une cause naturelle. Ce qui m’a d’autant plus mis mal à l’aise c’est que des héréditaristes ont développé des thèses sur des postulats racistes (l’homme blanc est plus intelligent que l’homme noir : The Bell Curve, de Herrnstein et Murray paru en 1994 aux Etats-Unis ; arguments pour les nazis, protecteurs de la race aryenne, inspirés de Francis Galton). Mais également des thèses misogynes.
Les auteurs de The Bell Curve ou encore le psychologue Arthur Jensen avançaient l’idée d’une cause raciale dans la différence d’intelligence. En gros, les populations noires et pauvres sont vouées à échouer scolairement vu que c’est dans leurs gênes. Politiques publiques et initiatives pédagogiques visant à réduire les écarts de niveau d’acquisition ne serviraient à rien.
De la même manière, on a pensé jusqu’à très récemment que le cerveau avait un sexe…
A l’opposé, il y a ceux qui pensent qu’il y a hérédité sociale et culturelle. Ce ce qui se joue c’est le milieu dans lequel naît l’enfant (voire même est conçu, je pense qu’il faudrait remonter à la gestation) qui va freiner ou accélérer le développement de certaines intelligences que l’institution scolaire prétend transmettre. Je me souviens encore d’une phrase de Céline Alvarez qui disait à quelques mots près : « Je me suis rendue compte que les enfants tenaient leurs apprentissages de chez eux. » Dans cette perspective, il faudrait donc opérer des changements dans le milieu scolaire, familial ou public.
Et puis, il y a une troisième façon de voir les choses, en sortant du prisme héréditariste, qu’il soit génétique ou social, le problème étant lié à ce que valorise l’école et la société. Or, on l’a vu, il y a de multiples intelligences qui devraient toutes être valorisées à égalité.
Ce que les avancées en neurosciences montrent c’est que le « gêne de l’intelligence » n’existe pas et que le cerveau est bien plus complexe que cela. Il y a des milliards de neurones et de connexions entre ces neurones qui ont quasiment tous la capacité d’apprendre, le cerveau étant capable de remodeler ses connexions (on parle de plasticité cérébrale) au fur et à mesure des expériences vécues et de l’évolution de l’environnement. Alors, même si le développement intellectuel a une base biologique (le cerveau), l’environnement agit sur l’organisme tout au long de la vie.
J’ai lu sur un blog : « On naît surdoué, on ne le devient pas. » C’est complètement nié l’influence du milieu dans lequel grandit l’enfant, nié même ce que nous disent les neurosciences. C’est conservé une opposition facteurs génétiques vs. facteurs sociologiques, et « dans la mesure où l’intelligence est un processus d’interaction entre l’organisme et son environnement » je vois mal comment la précocité peut seulement se résumer à une aptitude naturelle. Car nous le verrons plus bas, si c’est le cas, la nature semble favoriser les personnes de milieux identiques alors…
La précocité et l’école
Ce qu’il faut savoir c’est que nous ne sommes pas tous égaux face à l’école. Il y a 50 ans, deux sociologues, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, ont montré que l’école reproduisait les systèmes de classe sociale. Comment est-ce possible alors que le savoir proposé est le même pour tous ? Il y a plusieurs raisons qui expliquent cela mais une des principales est que l’école de la République Française a une culture de l’écrit très fort. La lecture et l’écriture sont nécessaires très tôt dans les apprentissages et les enfants n’ont pas les mêmes familles. Il y a des familles qui ont fait de plus longues études que d’autres, qui ont des revenus plus importants que d’autres, qui ont une façon d’éduquer leurs enfants qui les prépare mieux à l’école que d’autres, … Parler français, être capable d’aider ses enfants à faire leur devoir, avoir des capacités financières qui lèvent toute contrainte en ce qui concerne l’avenir ou qui permettent de payer des cours particuliers par exemple, avoir une chambre et un bureau au calme, être issu d’une famille aux ambitions scolaires importantes, oser consulter les enseignants en cas de besoin, … Bref, toutes ces attitudes ne concernent pas toutes les familles et engendrent une inégalité entre les élèves.
Autre paramètre très important : ce qu’on appelle le « capital culturel » de la famille. La façon de s’exprimer donne déjà une base de vocabulaire riche et varié, et plus on a une culture importante plus on manie la langue de Molière avec brio. Chacun sait combien la façon de parler est importante… Et puis emmener ses enfants au théâtre, à l’opéra, leur lire des histoires le soir, les emmener à la bibliothèque, ouvrir leur champs culturel des possibles. Toutes les familles ne sont pas pareils. Attention, je ne dis pas que c’est mal, au contraire c’est génial. J’adore aller au musée par exemple, faire plein d’activités, mais aucun hasard là-dedans, mes parents sont profs et ont toujours cultivé le fait de faire des activités avec nous. Si on pense que certains enfants sont plus intelligents que d’autres, c’est surtout qu’ils sont plus stimulés intellectuellement. Alors je sais ce qu’on va dire. Précoce ne signifie pas spécialement être un génie. Je sais, j’ai pensé à la précocité pour mon fils pourtant il ne savait pas lire à 3 ans, cela concernait plutôt son caractère, son hypersensibilité. Alors j’ai encore du mal à discerner ce que chacun met dans précocité. Malgré tout, il y a la perception d’un enfant différent, avec une intelligence en avance ou différente. Un être qui absorbe tout, qui fait preuve d’une concentration extrême, qui ressemble à un petit adulte mais dans un corps et avec les émotions d’un enfant.
Finalement, je me demande s’il n’y a pas deux choses qui mettent en exergue la précocité : le fonctionnement de l’école d’un côté qui serait inadapté à l’ensemble des profils et qui « favorisent les favorisés » et, du côté des familles, une volonté (tout à fait légitime) de réussite pour son enfant liée à la peur de l’échec scolaire.
Posons le cas d’un enfant qui rencontre des problèmes dans la classe (de comportement, dans le travail…). Dans un premier cas, cet enfant est celui d’une famille ayant des bas revenus, et les parents ont fait peu d’études. L’enfant sera assez rapidement catalogué comme chahuteur, mauvais élève, regardant beaucoup la télévision à la maison, dont les parents s’occupent peu… Les parents ont plus de chance d’être sermonné, jugé, on va traiter les choses en critiquant l’éducation de l’enfant. Dans un second cas, c’est l’enfant d’une famille avec des bons revenus, dont les parents ont fait de longues études. Le regard ne sera pas le même. Nous sommes des êtres partiaux, subjectifs et même avec la meilleure volonté du monde, des choses sont inscrites en nous, on a grandit avec. Ces parents se poseront des questions sur l’école. La critique ne sera pas la même, ce sera l’école, le professeur qui ne sera pas adapté, ou l’enfant qui s’ennuie. On pensera beaucoup plus à la précocité.
Alors évidemment, je fais des généralités, je caricature un peu mais c’est pour essayer de montrer qu’en fonction d’où l’on vient, qui on est, il y aura des inégalités de parcours du fait de notre environnement de départ. L’école ne va pas corriger le tire, il va le reproduire en lien avec les familles. Naître dans une famille au fort capital culturel stimulera plus tôt l’intelligence des enfants, et souvent l’intelligence qui colle à l’école.
Je me demande si le problème ne vient pas assez rapidement dans nos vies. L’école représente un passage obligé et transforme les enfants en élèves. Il y a des résistances à l’élève idéal, les enfants peuvent ne pas vouloir se conformer : des résistances volontaires (on transgresse les règles explicites et/ou implicites) et des résistances naturelles (on peut se poser la question de la capacité inégale des personnes à se conformer à ce qui est attendu d’eux – en fonction de leur environnement familial, leur éducation, leur caractère…). C’est même comme cela qu’est définit l’intelligence dans Le Larousse : « Aptitude d’un être humain à s’adapter à une situation, à choisir des moyens d’action en fonction des circonstances.«
Il y a des enfants plus dociles, il y a des enfants plus sociables, curieux, qui vont facilement vers les autres, qui ont intégré les codes de la socialisation rapidement. Ceux-là sont aimés par l’école et par les gens en général (qui sont allés à l’école), ils représentent l’élève/l’enfant idéal. Et puis il y a les autres. Et pour eux, on cherche une explication. Chez Keyo, son côté extravertie plait à l’institution scolaire mais son manque de docilité, de concentration est une catastrophe !
Et malgré le fait qu’on fasse l’instruction en famille, bien qu’on regarde l’école de loin, on reste surveillé par l’institution scolaire ce qui engendre chez nous le besoin de calquer certaines choses : on reste attentif aux programmes, aux attendus de fin de cycle, on valorise les activités culturelles, le savoir chez nos enfants, leur capacité d’apprentissage, de concentration, etc, dont ils n’arrivaient pas à faire preuve à l’école. On peut aussi vouloir valoriser leurs différences. Les familles IEF sont nombreuses à comparer les enfants qui vont à l’école avec les enfants qui n’y vont pas ou comparer l’avant/après suite à une déscolarisation. On fait de notre marginalité un point fort. On le revendique pour parer les attaques des personnes qui ne croient pas en nous, on trouve des justifications. Dans cette idée, on peut même avancer le fait que notre enfant présente des troubles de l’apprentissage, souvent du au stress scolaire. Cela confirme qu’il est inadapté au système, c’est un argument supplémentaire.
Mais qui sont les précoces ?
Pour cette partie, je tire, entre autres, mes informations de cet article. Voici ce que nous dit Wilfried Lignier, l’auteur : « Théoriquement, il implique qu’on se déporte d’une question connexe (…) (à savoir : la précocité intellectuelle est-elle naturelle ou « socialement construite » ? (ndlr : ce dont on vient de parler)), au profit d’une question, certes modeste, mais dont le réalisme autorise une certaine ambition sociologique : il s’agit de savoir dans quel contexte, c’est-à-dire dans quelles conditions économiques, culturelles, morales ou stratégiques, la précocité intellectuelle prend de fait une certaine consistance sociale qui fait qu’on en parle sérieusement, qu’on s’enquiert, qu’on s’inquiète de ses conséquences, et surtout qu’elle vaut comme qualification pertinente de la personnalité d’un enfant. »
Des garçons…
Dans l’étude menée par Wilfried Lignier, le chiffre est assez incroyable : 74% des enfants précoces sont des garçons. Ils sont majoritaires dans toutes les classes sociales. Pourquoi ? Les garçons seraient-ils davantage enclin à la précocité ? J’ai deux hypothèses sur le sujet.
D’une part, il y a le sexisme ordinaire dans le concept même d’intelligence dont les racines remontent à, à, à…. très longtemps ^^ : les garçons allaient à l’école bien avant les filles. En 1800, les filles avaient même un niveau scolaire d’un siècle de retard sur les garçons. Et en dézoomant un peu de notre pays, dans le monde entier, les filles restent très majoritaires à ne pas aller à l’école.
Lors de la création de l’école Républicaine, Jules Ferry écrivait : « L’école primaire peut et doit faire aux exercices du corps une part suffisante pour préparer et prédisposer en quelque sorte les garçons aux futurs travaux de l’ouvrier et du soldat, les filles aux soins du ménage et aux ouvrages de femme. » La pensée et la politique républicaine d’alors ne remettait pas en cause la condition de la femme, elle continuait à les assigner à la vie domestique. Les écoles non mixtes délivraient des cours différents entre les filles et les garçons (et cela jusque dans les années 50 à 70 – 1976 étant l’année où la mixité est devenue obligatoire à l’école) : enseignement du grec, latin, philosophie pour les garçons (disciplines nobles à l’époque) et enseignement artistique, travaux d’aiguille, économie domestique pour les filles.
Il y a donc un héritage historique assez proche qui continue à assigner les femmes à un rôle particulier. On cherche moins à les élever (au sens hisser) puisque leur nature les amènera là où elles devront être contrairement aux garçons, qui eux doivent se préparer à vendre leur force de travail. Les filles sont naturellement plus douces, plus à l’écoute,… il y a quelque chose en elles naturellement fait pour s’occuper de certaines tâches. Colette Guillaumin donne un exemple assez parlant dans l’expression courante de l’intelligence : pour les femmes on parle d’intuition tandis que pour les hommes on va parler de déduction.
« Dans le domaine de l’intelligence il en va de même : leur intelligence «spécifique» est une intelligence de chose. Censées être éloignées naturellement de la spéculation intellectuelle, elles ne sont pas créatrices de la cervelle, et pas davantage on ne leur reconnaît de sens déductif, de logique. Considérées même comme l’incarnation de l’illogisme, elles peuvent se débrouiller, à la rigueur ; mais pour arriver à ce résultat elles collent au réel pratique, leur esprit n’a-pas-l’élan-ou -la-puissance- nécessaire -pour-s’arracher-au -monde -concret, au monde des choses matérielles auquel les attache une affinité de chose à chose ! En tous cas leur intelligence est censée être prise dans le monde des choses et opératoire dans ce seul domaine, bref elles auraient une intelligence «pratique». »
Wilfried Lignier relève également les nombreux stéréotypes de genre dans les ouvrages sur la précocité ou dans les productions associatives à destination des familles, il y aurait un « comportement masculin » liée à la précocité : agitation, problèmes de concentration et d’application, impertinence, …
On en arrive à ma deuxième hypothèse. Celle liée au tempérament et au fait que les filles aient rattrapé les garçons à l’école. 1971 étant l’année où les filles rattrapent les garçons en terme d’accès au bac. Et comme le hasard fait bien les choses, c’est également l’année de création de l’Association Nationale Pour les Enfants Surdoués (ANPES), à Nice, à l’initiative d’un jeune psychologue libéral niçois, Jean-Charles Terrassier. Cet article, écrit également par Wilfried Lignier, explique assez bien les débuts et le développement du surdouement en France.
La question que je me pose, un peu polémique évidemment, c’est si « l’invention des surdoués » n’était pas une façon efficace de justifier et conserver une certaine domination de la part des classes dominantes ? Qui, pour rappel et pour résumer, est l’homme blanc de classe aisée.
Selon un sociologue, Georges Felouzis, les performances scolaires meilleures des filles seraient paradoxalement une conséquence de la domination masculine. Ce qu’il nous dit, c’est que les qualités qui sont traditionnellement perçues et valorisées comme « féminines » (à savoir la passivité, l’obéissance, la docilité, etc.) – et donc auxquelles les petites filles sont censées se conformer – seraient précisément ce qui permettraient aux jeunes filles de mieux réussir à l’Ecole. En somme c’est parce qu’on apprendrait davantage aux jeunes filles à se montrer docile et appliquée dans leurs premières années, qu’elles développeraient plus tard ce qu’il appelle une « bonne volonté scolaire ». De nombreuses enquêtes montrent qu’elles consacrent plus de temps à leurs devoirs, qu’elles lisent davantage, mais aussi qu’elles sont plus souvent contentes de se rendre à l’école et qu’elles apprécient davantage leurs enseignants. Donc généralement, elles sont donc mieux disposées que les garçons à l’égard de l’Ecole.
A contrario, les garçons sont plus souvent (je fais des généralités, ne m’en veuillez pas) perturbateurs, impertinents, … Du coup, ça me fait tiquer sur le terme précoce qui se veut aussi une explication de comportements incompris, anormaux. Pour cela, je reprends encore un passage de ce blog, qui emploie le mot zèbre : « … Ce n’est pas un petit mot doux, c’est juste le nom donné par Jeanne Siaud-Facchin, psychologue, aux enfants surdoués. Ça y est le grand mot est lâché… Un zèbre est un animal difficile à domestiquer. Un zèbre ressemble beaucoup à son cousin le cheval, mais au milieu d’un troupeau équin, il se remarque pas mal avec son pyjama à rayures. Les clichés et les tabous sont légion en ce qui concerne les petits surdoués et l’ignorance et les remarques font souffrir parents et enfants. Chaque enfant est différent de son voisin et c’est pareil pour les zèbres dont aucun n’a exactement les mêmes rayures que son congénère. Pourtant, ils ont beaucoup de points communs … »
Comme on le voit depuis la création de l’ANPES, il y a une volonté de susciter l’adhésion d’un public à une idée. Et comme cela revient très régulièrement dans les discussions sur la précocité, il y a une idée qui se cherche un nom qui convienne dans l’espace public. Les linguistes disent qu’on pense avec les mots, ils sont donc très importants à choisir. Surdoué a été abandonné au profit de précoce, précoce convient de moins en moins, on lui préfère actuellement Haut Potentiel. J’ai même vu le mot APIE (Atypique Personne dans l’Intelligence et l’Emotion) qui permettrait de mieux intégrer la singularité émotionnelle.
… De familles au fort capital culturel
« Dans quel contexte, c’est-à-dire dans quelles conditions économiques, culturelles, morales ou stratégiques, la précocité intellectuelle prend de fait une certaine consistance sociale qui fait qu’on en parle sérieusement, qu’on s’enquiert, qu’on s’inquiète de ses conséquences, et surtout qu’elle vaut comme qualification pertinente de la personnalité d’un enfant ? »
C’est la question posée par Wilfried Lignier dans son article où l’on constate que près de trois quarts des enfants enquêtés ont un parent exerçant une profession supérieure. Et seul 3% d’ouvriers et 4% d’employés, alors qu’ils représentent la moitié des métiers sur la population totale française. Là encore, on peut se demander pourquoi est-ce que la plupart des enfants précoces ont au moins un parent qui exerce une profession supérieur ? Y aurait-il un gêne de l’intelligence davantage présent chez les classes supérieures qui les prédisposerait à la réussite scolaire, et un handicap génétique chez les enfants d’ouvriers qui les prédisposeraient à l’échec ?
En y regardant de plus près, ce n’est pas le niveau de revenu qui a une influence sur la précocité, mais plutôt le niveau d’étude. Mais si ces deux données vont souvent de pair, ce que nous dit Wilfried Lignier, c’est que c’est le niveau d’étude qui caractérise davantage le niveau de culture. « Compte tenu de l’importance de la surreprésentation, pour les pères comme pour les mères, des forts niveaux de diplôme, on peut dire qu’il est très improbable d’être un enfant précoce si l’on n’a pas un père ou une mère possédant un titre scolaire au moins équivalent à Bac+2. »
La sélection sociale de la précocité intervient avant la confrontation des enfants au psychologue. Pour devenir « précoce », il faut qu’un enfant ait accès au test, accès au psychologue : « La psychométrie est toujours, quelle que soit sa forme spécifique, un instrument d’évaluation socialement sélectif ; et surtout, en pratique, faire tester un enfant implique le plus souvent, faute d’une offre publique (et gratuite) conséquente, de se rendre (et donc, d’être économiquement, culturellement disposé à se rendre) chez un psychologue libéral. »
L’investissement des familles dans l’école reste quelque chose de très récent et retrouvé principalement dans les milieux favorisés. Les milieux populaires ont tendance à confier « aveuglément » l’instruction de leurs enfants au système scolaire tandis que les parents ayant un capital culturel important font profiter à leurs enfants d’apprentissages sur des temps hors scolaire. Il peut s’agir d’une culture non palpable, très complexe à percevoir, c’est-à-dire une attitude, une manière de faire et d’être avec son enfant. Mais aussi, une présence un investissement en jeux, en activités, en aide aux devoirs, en lecture, en visites, … qui va renforcer les apprentissages scolaires.
Aujourd’hui l’école ne prend pas du tout en compte cette différence culturelle, elle continue à fermer les yeux sur cette inégalité, car à mon humble avis ce n’est pas aux familles de changer mais à l’école de renouveler sa pédagogie et de porter son rôle revendiqué d’instruction. On a bien vu avec l’expérience à Gennevilliers de Céline Alvarez que l’égalité à l’école c’est possible.
Dans les pays nordiques, les écoles privées sont interdites. Lorsque j’ai appris cela, j’ai d’abord été choquée, ça représentait une privation de liberté à mon sens. Mais une fois que j’ai compris pourquoi, j’ai trouvé cela logique. Sans porte de sortie pour les classes qui ont de l’influence, toute l’énergie à transformer et améliorer l’école a été mise dans le public. En France, on observe que cette énergie est davantage axée sur le développement des écoles hors contrat. Ce qui est dommage car c’est une majorité de famille qui en pâtit, les enfants et donc notre avenir commun.
Si on « nait précoce et qu’on ne le devient pas » comme je l’ai lu sur le blog, la nature semble donc en favoriser tout de même certains plus que d’autres. Et je ne vois pas de gros mot là-dedans. J’ai l’impression qu’il y a un malaise chez les gens favorisés. Moi je me sens favorisée, bon on ne gagne pas beaucoup plus que le SMIC mais j’ai la possibilité de reprendre mes études, faire l’instruction en famille, on a un bel appartement, on vit dans une magnifique région, on a pris des vacances pour Noël, on mange à notre faim… J’ai récemment vu une photo passé sur Facebook qui disait : « Si tu as de la bouffe dans ton frigo, des vêtements dans ton placard, un toit au-dessus de ta tête, un lit pour dormir, tu es plus riche que les 75% du monde. Si tu as des sous en banque, dans le portefeuille et aussi quelques monnaies tu te trouves dans les 8% plus riches au monde. Si le matin tu t’es réveillé plus en santé qu’en maladie tu as plus de chance que 1 million de personnes qui ne survivront pas à la semaine. Si tu n’as jamais expérimenté le danger d’une bataille, l’agonie de la prison, la torture et la douleur de la faim, tu es plus chanceux que 500 millions de personnes qui doivent le vivre. Si tu es entrain de lire tout ça, tu as le privilège qui manque aux 3 millions de personnes dans le monde qui ne savent pas lire. »Dans les pays développés, on a une sacré propension à être éternellement insatisfait. Il nous en faut toujours plus, toujours mieux, toujours plus haut. En fait, nous sommes des ogres, perpétuellement insatisfaits, à l’appétit vorace. Voyez la situation de notre planète, n’est-elle pas la conséquence de cette nature humaine pervertie par l’envie d’amasser toujours plus de fric ? Je ne jette la pierre à personne, je me parle à moi aussi également.
Pour conclure…
Si vous êtes arrivés jusque-là, vous avez été courageux, merci ! Je ne sais toujours pas vraiment que ce signifie être intelligent… et peut-être que vous non plus. Dans l’invention de Binet et Simon, le test avait vraisemblablement vocation à aider les enfants en difficulté en leur proposant un niveau d’enseignement plus adapté à leur âge intellectuel, ce qui est quand même assez bizarre je trouve. Mais bon, partons du principe qu’on était dans les débuts de l’école institutionnalisée et que ça partait d’un bon sentiment, que l’objectif était justement d’améliorer le système scolaire. Malgré tout, 100 ans plus tard, le problème est toujours le même, l’école propose un cadre d’enseignement strict auquel les enfants doivent s’adapter. Et non le contraire. Des niveaux bien définis, des cours imposés, des horaires, des matières sélectionnées… Il manque l’ouverture aux différentes intelligences, une plus grande flexibilité, des classes d’âge avec plus d’amplitude, … Afin de casser petit à petit le mythe de l’élève/l’enfant idéal et de coller des étiquettes valorisantes/dévalorisantes.
Il y a 100 ans, parler le latin était très prééminent. Aujourd’hui, c’est au tour des mathématiques. Alors, on pourrait dire que l’intelligence c’est d’abord ce qu’une société reconnaît comme intelligent, c’est la conséquence d’un jugement social, puisqu’elle ne vaut que tant qu’elle est reconnue par d’autres.
Aujourd’hui, le QI crée des mythes, des légendes. Vous avez entendu parler de cet enfant chinois, au QI de 220, recruté à 9 ans par la NASA ? Quelle vie ! Mais sur les forums de discussion de « grands zèbres », je lis aussi des adolescents, des adultes qui souffrent de cette étiquette qu’on leur a collé petit. Ils tournent en rond dans tout ce que le test de QI a défini comme étant leur personnalité. C’est comme s’ils n’avaient pas choisi d’être eux et qu’on a justifié chacun de leur fait et geste par de la précocité. C’est en partie ce qui m’a décidé à lâcher l’affaire avec cette histoire pour Keyo… Alors évidemment, cela ne concerne pas que les précoces. J’ai récemment écrit un article sur les étiquettes, je crois qu’on grandit tous avec une personnalité qui nous colle à la peau et dont on aimerait s’affranchir parfois. Mais, il me semble, qu’un test de QI renforce cela… J’ai aussi entendu des adultes dire qu’ils avaient appris sur le tard qu’ils étaient précoces et que ça leur avait permis de comprendre des choses… Alors, c’est peut-être cela qui me laisse des doutes. Peut-être qu’il faut laisser les enfants faire leur chemin. C’est sûrement plus facile quand on ne dépend pas de l’école.
Bon, je voudrais rassurer toutes les personnes qui me lisent et qui ne sont pas précoces. J’en connais qui lisent très bien à 4 ans mais qui se font botter les fesses à Mario Kart. Peut-être que dans 100 ans, les jeux vidéos seront plus valorisés que la lecture… ? ^^
Et pour les précoces qui me lisent, j’espère que vous ne vous êtes pas senti jugés, je voulais amener un autre point de vue… Le débat est ouvert 😀