J’ai rencontré Arno Stern il y a quelques années maintenant (pas en vrai mais à travers son livre ^^) et j’ai relu à différents moments de ma vie son livre le plus connu « Le jeu de peindre« . Au fur et à mesure de mes relectures, j’ai attrapé de nouvelles choses au vol qui ne m’avaient pas marqué plus avant. Encore aujourd’hui, j’ai quelques interrogations, quelques zones d’ombre, j’essaie d’analyser finement ce qu’il veut transmettre. Il me faudrait surement remonter dans ses premiers livres et suivre l’évolution de ses réflexions. C’est ce qu’on appelle la pensée herméneutique. Comprendre un discours en se mettant dans une position d’une telle empathie qu’on en arriverait presque plus à comprendre ce que voulait dire l’auteur, que l’auteur lui-même.

La principale idée qui est la sienne, c’est que l’acte de dessiner, de peindre, la trace, est un acte spontané, naturel, qui démarre, évolue et grandit de la même façon chez tous les êtres humains. Comme tous les êtres humains commencent par sortir du ventre de leur mère, apprennent à tenir leur tête, tente de se retourner, puis de se mettre petit à petit debout, … C’est ce qu’il appelle la formulation.

Tout ce qu’on appelle art enfantin n’existe pas. Les traces ne sont ni plus ni moins que des formes programmées, organiques, qui jaillissent de l’intérieur. Il n’y a donc pas d’analyse à faire de ces dessins, pas de psychologie de gribouillis, de significations cachées. Dessiner est un jeu et comme tous les jeux, il est naturel et résulte d’un processus d’évolution humaine. Par exemple, utiliser seulement le noir ne veut pas dire que l’enfant vit une période sombre, l’utilisation de la couleur noir est commune à tous les enfants à une période plus ou moins longue de leur vie. Faire de grandes traces rouges ne signifie pas, là encore, que l’enfant vit une tempête. C’est une étape à la suite d’une autre, et avant la prochaine.

Arno Stern a compilé des milliers de dessins depuis plusieurs dizaines d’années, dans différents coins du globe et les a comparé. Il a fait de la sémiologie, s’est rendu compte qu’ils suivaient tous le même chemin. La formulation est universelle. Personnellement, je trouve cela très beau. C’est quelque chose qui nous relie tous, nous, êtres humains. Depuis que j’en ai pris conscience, je ne vois plus l’acte de tracer comme avant mais avec plus d’humilité. Je ne vois pas de l’art enfantin, je vois un jeu avec soi-même. Je ne dis plus « quel joli dessin » mais « tu t’es bien amusé ? ». J’essaie de rompre avec l’affichage de leurs peintures, de m’en débarrasser ou bien de les conserver dans un classeur à dessins (dans le seul but de suivre l’évolution de cette trace), la satisfaction ayant été de jouer, de tracer et non pas d’admirer le résultat.

Pour faciliter ce jeu, j’ai beaucoup réfléchi. Comment faire quand on est dans un appartement en location et que nous n’avons ni les moyens financiers ni le talent pour fabriquer une table palette. Oléia adore peindre. C’est même son jeu favori. Elle peint le matin, l’après-midi, le soir. Il fallait quelque chose de simple à mettre en place, voire qui soit toujours en place, assez intuitif et qui ne me demande pas une perte de temps à répéter les tâches suivantes : installer le matériel, la surveiller, ranger le matériel, nettoyer. Et rebelote deux heures plus tard.

Arno Stern a une table palette qui propose 18 couleurs. Un godet, un pot d’eau et 3 pinceaux par couleur (1 gros et 2 petits). Il propose cela dans le cadre d’ateliers avec plusieurs participants. A la maison, j’ai fais le choix de mettre un pinceau par couleur, mais si les enfants sont deux ou plus, ça devient nécessaire d’en avoir davantage car ils se gênent (et Oléia a le malin plaisir de vouloir toujours la couleur que l’autre enfant vient de prendre…^^).

Alors voici une solution.

  • Nous avons un meuble type commode pour ranger notre matériel pour l’école à la maison. Sur le dessus, l’emplacement est réservé pour la peinture qui reste toujours là. Il y a 12 couleurs de gouache. Un godet, un petit pot en verre (récupéré de yaourts ou riz au lait, mon addiction ^^) et un pinceau. Les couleurs suivent un ordre logique (blanc, rose, violet, bleu clair, bleu foncé, vert foncé, vert clair, jaune, orange, rouge, marron et noir) et certaines ont été créées à partir de mélanges fait par nos soins. J’ai acheté les 5 couleurs primaires de gouache en gros bidons : jaune, rouge, bleu, blanc et noir.
  • Pour les godets, je souhaitais une structure permettant une certaine stabilité. Je me suis donc dirigée vers des planches avec 6 godets en verre vues sur le site de Mercurius France que je trouve d’un excellent rapport qualité prix (Arno Stern utilise des godets en porcelaine). J’ai pris deux planches mais si vous avez la place, vous pouvez en prendre trois et ainsi reconstituer toutes les couleurs de la table palette du jeu de peindre, à savoir : blanc, rose, violet, bleu clair, gris, outremer, émeraude, vert-blanc, vert-jaune, jaune, ocre, beige, orange, vermillon, carmin, terre de Sienne, terre d’ombre, noir.
  • Concernant les pinceaux, il y a tous les prix. Chacun fait avec son budget. Ma grande préférence va vers les pinceaux Lavis mais ils sont déjà très chers. Nous en avons trois à la maison que j’avais acheté 15 euros le lot dans le magasin créatif où je vais habituellement, si j’avais été au courant que ce n’était pas cher, j’en aurais pris plus ! Normalement, c’est un pinceau qui coûte 15 euros environ l’unité… L’avantage de ces pinceaux c’est qu’ils retiennent bien l’eau et la couleur. Donc pas besoin de prendre trop de peinture.
  • Pour la peinture, comme dit plus haut, j’ai acheté des gros bidons de gouache. A l’achat, le coût est un peu élevé mais ça duuuure looongtemps ! Donc, si vous avez des grands amateurs de peinture à la maison, l’achat sera vite rentabilisé.
  • Et pour le papier, vous pouvez bien entendu vous rabattre sur du papier basique (ce qu’on fait quand on est en rade, c’est qu’elle blague pas la petite en consommation de feuilles…) mais pour la peinture l’idéal c’est quand même du papier un peu épais qui accroche bien la peinture et ne gondole pas sous l’effet de l’humidité. Mon astuce c’est d’acheter des grands blocs de papier type « Créa Multitechnique« . Encore une fois à l’achat ça revient plus cher qu’une pochette de papier Canson mais en terme de quantité, il y en a beaucoup plus. 60 feuilles A3 que je coupe en 2, ce qui revient à 120 feuilles A4 en 180g pour 12 euros et quelques. Ça vaut le coup !

Au niveau du rituel de peinture, Oléia est maintenant très autonome. Mais au début, j’ai du être présente pour qu’elle comprenne les règles du jeu. Même si toute l’installation est assez instinctive, il a fallu que je lui montre plusieurs fois comment prendre la peinture. En premier lieu, on trempe le pinceau dans l’eau et dans un second temps, on trempe la pointe du pinceau dans la gouache. Pas plus, cela suffit largement. Surtout pour peindre un petit rond… Ensuite on rince le pinceau dans le pot en verre.

Lorsqu’on a fini de peindre, on recouvre d’un peu d’eau le godet pour éviter à la peinture de sécher. Et lorsqu’on se remet à peindre, on vide doucement l’eau dans un petit récipient ou mieux, on l’aspire avec une seringue.

Régulièrement, il faut penser à changer l’eau des pots en verre, nettoyer les pinceaux avec un peu de savon noir liquide et les laisser sécher à plat ou pointe vers le haut. Je conseille de mettre peu de gouache dans les godets car il peut arriver des incidents (exemples : on trempe le mauvais pinceau dans le mauvais godet ce qui en modifie la couleur ou on oublie de recouvrir d’eau et tout sèche). De plus, les petites quantités invitent à plus de minutie.

Voilà, vous connaissez une grande partie de ce que j’ai appris du jeu de peindre. Mon grand rêve maintenant c’est de faire la formation et m’installer pour proposer cette activité… Un jour peut-être !