J’aimerais partager avec vous un peu de mes apprentissages cette année. Le début de ma licence 3 en Sciences de l’éducation est difficile. Pour être honnête, je suis complètement démoralisée. Je pense tout simplement que je n’y arriverai jamais. Trois enfants à la maison 7j/7, 24h/24 dont un petit bébé qui a besoin de ma présence de jour comme de nuit.

La fatigue s’en mêle donc. Et le stress. Je ne suis ni dans mes cours, ni complètement avec mes enfants. Mais pourquoi me suis-je lancée là-dedans, avais-je besoin de me prouver quelque chose, à moi ? Aux autres ? Ma vie n’est-elle pas assez remplie ?

Je suis passée d’un enthousiasme profond à ce que les cours commencent à un total désarroi face à ce temps que je n’ai pas, face à ces attentes auxquelles je n’ai pas envie de répondre. M’impliquer dans un forum pour plaire aux professeurs ? Réfléchir à ce qu’ils attendent de moi dans leurs devoirs pour obtenir une bonne note ? Je n’aime pas cela. Reprendre mes études, je le fais pour moi, par plaisir d’apprendre, parce-que tout ce qui touche à l’éducation me passionne…

Et puis il y a eu ce cours de méthodologie sur le journal de recherche. Dit comme ça, ça donne pas envie. J’ai même pensé “pourquoi j’ai choisi cette matière ?”. J’ai commencé à lire le cours puis j’ai essayé de comprendre ce que la professeure attendait de nous. Rien il me semble. C’est assez libre un journal. En fait, on parle de nous. C’est tout ce dont j’avais besoin, moi qui aime écrire, qui en ai besoin. Ca me permet de mettre des mots sur ce que je ressens, y revenir plus tard, réfléchir de nouveau. Cela permet de marquer le temps de mes remarques, mes observations, mes points d’interrogation. Ce cours a été un révélateur. Finalement, on a plus de chance d’être agréablement surpris par quelque chose dont on attend rien.

Alors, voici ce que je souhaite partager avec vous – il y aurait tant à dire d’autres sur cet homme, mais il faut choisir -, c’est un extrait de “Les moments pédagogiques” de Janusz Korczak. Polonais, pédagogue, pédiatre, écrivain, grand défenseur des enfants, précurseur de la protection des droits de l’enfant. La Convention Internationale Des Droits de l’Enfant est tout simplement héritée de sa pensée. Oui, oui, tout ça. Un grand Homme.

“Note : Wladzia lève le doigt (un moment me vient l’idée de ne pas noter, parce que cela détruirait mon diagnostic précédent).

Commentaire : J’ai noté de mauvaise grâce que Wladzia, une étourdie, une girouette, veut répondre. Pourquoi? C’est justement parce qu’elle va à l’encontre de mon opinion négative sur elle en tant qu’élève que j’aurais dû saluer ce fait avec joie et m’empresser de le noter. Wladzia telle que je souhaite l’avoir ne devrait pas lever le doigt, devrait être heureuse qu’on la laisse en paix, que l’on ne l’oblige pas à répondre. Et c’est justement ma faute que de vouloir qu’elle soit telle que je l’ai jugée. Pourtant, je devrais l’observer telle qu’elle est, je devrais donc percevoir le plus possible, le plus largement possible. Mais je suis paresseux moi, je veux que Wladzia soit facile à connaître : j’ai collé une étiquette et c’est réglé. Deux doigts levés sont un nouveau phénomène, exigent une révision, un nouvel effort de l’esprit, pour approfondir mon jugement. Je suis impatient, pressé. La « connaissant » facile à comprendre, je cours déjà vers les autres, plus compliqués. Je me débarrasse rapidement d’un patient, avec un diagnostic expéditif, parce qu’une file d’autres patients m’attend. Je suis ambitieux, j’ai peur pour mon diagnostic, peut-être justement parce qu’il est mal fondé, mal fait, bâclé. Je n’en suis pas certain, et je crains que ce nouveau phénomène amoindrisse la valeur de l’aumône que j’ai jetée au passage en collant cette étiquette. Je reconnais avec regret que j’ai du mal à déchiffrer, que je dois fixer longtemps les « lettres » des symptômes avec grande attention, pour pouvoir ânonner tant bien que mal le contenu, en gros. Il y a, tapie en moi, une autorité toute gonflée de son importance, qui reconnaît en un clin d’œil « un de ces gosses », et le rend transparent à mes yeux. Au fond de moi vit un bousilleur démoralisé, que l’école a dressé à se soustraire, à force de mensonges, aux obligations de la véritable connaissance. Ces deux doigts en l’air de la petite Wladzia sont la protestation d’un être vivant, qui ne permet pas qu’on se débarrasse d’elle avec n’importe quoi, qui refuse la qualification, l’étiquette ; elle dit : « tu ne me connais pas ». Que sais-je donc de Wladzia? Qu’elle a la bougeotte? L’institutrice a jeté en passant : « paresseuse ». Cela m’a plu, j’ai repris l’adjectif. Peut-être que Wladzia n’est pas paresseuse. Peut-être faut-il abandonner un diagnostic hâtif, reconnaître son erreur, et recevoir en récompense quelques remarques autocritiques. Peut-être que Wladzia la provocatrice est capable d’un intérêt vivace ; peut-être qu’elle lutte contre le préjugé de l’institutrice. Ces deux doigts en l’air peuvent indiquer : a) « eh bien justement, moi je sais, je ne suis pas celle pour qui vous me prenez », ou bien b) « quand quelque chose me captive vraiment, alors je sais, et je veux répondre ». Ou bien peut-être que la « paresseuse » a vraiment décidé ce matin de s’améliorer, de commencer une nouvelle vie? Peut-être à l’issue d’une conversation avec sa maman, avec une amie? Doit-on aider Wladzia dans son effort, ou bien garder cela en mémoire, et attendre de voir ce qui se passera ensuite, demain, dans une semaine ?”

C’est fort d’avoir si bien analysé sa pensée, de reconnaître qu’on pose naturellement des étiquettes sur les enfants. Paresseux, violent, gourmand, rêveur, casse-cou, maladroit, sensible, feignant, bordélique, fragile, peureux, timide, caractériel, … Le problème avec l’étiquette, c’est qu’elle domine tellement, qu’on en oublierait tout ce qui caractérise l’enfant. Chaque personne a une palette immense de caractères, d’émotions, de réactions… Mais l’étiquette restreint, emprisonne. On ne se résume plus que par quelques traits de notre personnalité au lieu d’en apprécier l’étendu. Allez, faites-le test ! Que disaient de vous les adultes quand vous étiez enfant ? N’avez-vous pas l’impression de vous être enfermé dans cette étiquette ? Moi, si !

Je pense qu’on a tous des personnalités différentes, avec des traits plus ou moins affirmés. On hérite du caractère de nos adultes référents, de notre culture, de notre genre… Mais on est aussi tous capable de nous adapter en fonction des situations et choisir le masque qui convient le mieux. Lorsque les gens répètent très souvent à Oléia qu’elle a du caractère, ils participent à l’enfermer dans une attitude dominante. Lorsqu’on retient que Keyo a donné un coup à cet autre enfant, on le met dans la case “bagarreur” et alors tout ce qu’on verra de lui, passera à travers ce prisme. On ne peut pas aimer tous les enfants, disait AS Neil, mais ils ne doivent pas le savoir. Et je dirais même plus : mais ils ont le droit au respect. Car le problème c’est l’adulte, pas l’enfant. C’est l’adulte qui voit avec sa morale. L’adulte qui étiquette. Vous en croisez beaucoup des enfants qui disent d’eux-même “Mais dis donc quel caractère !” ou “Tu es paresseux.” ? Non, ou alors ce sont des perroquets. Pour l’enfant, le bien et le mal n’existent pas, il n’y a que des émotions présentes et passées (sur lesquelles il est évident qu’il faut mettre des mots : “je suis en colère” c’est différent de “tu es égoïste”. Introspection versus injonction). Le futur n’a pas encore de sens. Et puis les enfants ont un langage bien à eux. C’est pourquoi enfants et adultes ont tant de mal à se comprendre.

Je me dis de temps en temps qu’il n’y a que l’amour d’un parent pour ses enfants qui permet de dépoussiérer tout cela. Que nous, nous les connaissons mieux que personne. A nous de briser les cases dans lesquels on met LES enfants, même ceux qui ne sont pas les nôtres.

Les protéger en restant le plus respectueux possible de leur individualité c’est leur permettre d’être libre d’être ce qu’ils sont vraiment ou ce qu’ils veulent être. Se questionner soi-même plutôt que questionner les autres, c’est éviter d’ériger un modèle dominant et y soumettre les autres. Je conclue en posant quelques briques du prochain article dans lequel je vous parlerai de Paolo Freire.

Des livres écrit par Janusz Korczak :

  • Les colonies de vacances
  • Le Roi Mathias Ier
  • Le roi Mathias sur une île déserte
  • Comment aimer un enfant, et le droit de l’enfant au respect

A bientôt !