a
Cela fait plusieurs jours que je me demande à quel point je suis hypocrite quand j’affirme que je n’ai pas de problème avec le système scolaire français ? Oui ce choix de faire l’instruction en famille, c’est un choix pour quelque chose et non pas un choix contre, mais au fond je crois que dans mon cœur et dans ma tête, il y a un peu de « contre ». Oui j’ai un peu de contre parce-que je compare souvent l’instruction en famille et l’école, je critique souvent l’école, je rêve d’une autre façon de pensée l’éducation et les relations humaines. J’ai du contre parce-que je suis énervée d’entendre ces politiques appeler à plus d’autorité dans les écoles, à souligner la violence chez les jeunes et acclamer le « c’était mieux avant ». Le système scolaire me paraît être une fabrique à aigris de près ou de loin, une cage pour civiliser des enfants sauvages, leur apprendre les bonnes manières et la bonne éducation, les brimer, les mettre en compétition, souligner en rouge ce qu’ils n’ont pas su faire et rabaisser plus que flatter.
La vraie question est comment faire pour voir et laisser se développer le potentiel humain en chacun de nous ? Un professeur, un étranger au fond, est-il capable de donner assez d’amour à autant d’enfants et entretenir la petite étoile qui brille au fond de leur cœur et qui pétille dans leurs yeux ? Je crois que, même avec la meilleure volonté du monde, non ce n’est pas souvent possible. Oui j’ai des « contre » et plutôt que de mal vivre la scolarisation de mes enfants, j’ai préféré faire un choix pour eux, pour nous. Ce n’est pas un choix simple car la pression du système est là, souvent autour de nous, avec ses piqûres de rappel (merci les inspections). J’ai choisis de transformer ma vision de l’éducation en profondeur, j’ai choisis de penser que l’adulte ne peut rien contrôler, rien apprendre à l’enfant tant qu’il n’est pas prêt à l’apprendre lui-même. Selon moi, l’enfant s’éduque tout seul, l’humain s’éduque tout seul. Seul ne signifiant pas de façon isolée mais de façon autonome, en piochant dans son environnement, en s’enrichissant de ses rencontres, de ses découvertes, de ses lectures, … Avec combien de personnes puis-je parler de cette façon en étant facilement comprise ? Assez peu.
« Je prédis que dans cinquante ans, l’approche éducative actuelle sera perçue par beaucoup d’éducateurs, si pas tous, comme étant un vestige barbare du passé. » Peter Gray
Tant qu’il est encore possible, j’aimerais offrir la chance à mes enfants de vivre libre et sauvage car je pense que le bonheur est simplement là. Lorsque je les regardais à la plage, à courir dans tous les sens, se mouiller jusqu’aux genoux malgré la température de l’eau, crier après les vagues, ramasser des cailloux et les jeter le plus loin possible, s’inventer des histoires avec des bâtons, interpeller les passants et leur raconter leur vie, caresser les chiens qui passent, observer les petits poissons, admirer les reflets scintillants de l’eau, rêver d’un bateau pour prendre le large, creuser des trous dans le sable à la recherche de trésors, … je me sentais tellement bien, tellement heureuse de sentir à quel point c’était ça le bonheur : être dehors, libre de courir, de parler, de crier. Libre sans moi ou avec moi.
Quand je les vois, je pense aussi souvent à ma propre enfance. Oh oui, des fois j’aimerais avoir de nouveau 6 ans ! Tout était tellement bien quand j’étais petite, le bonheur était si souvent là, présent dans les parties de jeux sans fin avec les copains, dans les petites histoires qu’on s’invente au fond d’un potager, dans la danse qu’on refait cent fois seule dans un coin de sa chambre, dans les mille tentatives d’une belle et grosse bulle de chewing-gum. Quoi qu’on en dise, grandir -dans notre société- c’est perdre au fur et à mesure cette jovialité, cette innocence, cette impétuosité de l’enfance, sa nature sauvage, pourtant présente en chacun de nous tous à la naissance. Maintenant que je suis adulte, je me souviens de mes années d’école. Au premier abord, j’ai toujours pensé avoir eu une scolarité facile et sympathique, je n’ai pas l’impression que l’école m’ait provoqué du dégoût. Mais finalement, maintenant que j’ai le temps d’y réfléchir, je sais qu’elle m’a aussi rendu malade et j’accepte de le dire.
Je me rappelle avec amertume ces matins difficiles. Aussi loin que ma mémoire remonte, je me souviens avoir été si souvent mal au réveil, avec la boule au ventre et des maux de tête. Je pouvais aller jusqu’à vomir avant le départ à l’école si ma mère ne prenait pas au sérieux « ma maladie ». Et lorsqu’on allait chez le médecin, je redoutais toujours son diagnostic, sa sentence irrévocable, le mot que je redoutais à chaque consultation : psychosomatique. Je sentais le désarroi de ma mère et je peinais à rallier tout le monde à ma cause. Non je ne comprenais pas pourquoi j’étais malade seulement le matin et pétais le feu l’après-midi, et pourquoi le lendemain matin, j’étais de nouveau au plus mal. Après notre déménagement à mes 11 ans, j’ai même consulté une psychologue car j’avais été absente très régulièrement au cours du premier trimestre. Je m’étais pourtant fait des copains et j’adorais ma classe, je ne subissais pas de harcèlement et j’ai toujours eu des facilités à l’école. A ce moment là, je pense que le déménagement était la bonne excuse pour justifier mes troubles mais au fond, je me souviens que cela m’arrivait aussi à l’école élémentaire et puis plus tard au lycée. Aujourd’hui, je sais que j’étais malade de l’école, malade du stress qu’elle provoquait en moi, malade de cet enfermement alors que j’avais toujours 1001 projets à la maison.
« Le monde est trop beau pour être remplacé. » Carol Black (auteure de « Le sauvage chez l’enfant » et réalisatrice du film « Schooling the world« )
Lorsque j’ai lu l’article « Le sauvage chez l’enfant », j’ai pris davantage conscience de ce mastodonte qu’est l’école dans nos privations de libertés. Avant de connaître l’instruction en famille – et ce fut fait de manière un peu extraordinaire-, je ne m’étais tout simplement jamais posée la question de ce choix, je n’avais pas conscience qu’un autre chemin était possible. Une fois ce chemin emprunté, j’ai trouvé qu’il était difficile de se reconnecter à notre enfant intérieur et lâcher prise avec toutes les idées qu’on nous a mises dans la boite. A ce sujet, cela me fait penser à Pierre Rabhi et sa métaphore de la vie en boite : « L’itinéraire de l’être humain dans la modernité est une série d’incarcérations : de la maternelle à l’université on est enfermé, on appelle ça un bahut ; tout le monde travaille dans des boites, des petites, des grandes ; même pour aller s’amuser on va en boite, dans sa caisse bien entendu ; et puis vous avez la dernière boite, où on stocke les vieux en attendant la dernière boite que je vous laisse deviner. » Cela me fait beaucoup rire et je trouve qu’il est tellement dans le vrai. Il suffit de nous voir, ridicules comme nous sommes, enfants de la ville, enfants des boites, à tenter d’enseigner à nos enfants ce qu’est la nature, quand nous-mêmes avons été complètement déconnectés de cet environnement, quand nous-mêmes sommes incapables de reconnaître le chant d’un oiseau, identifier un insecte, incapables de toucher la terre ou de monter aux arbres car nous avons peur de ce qu’on pourrait y trouver.
La nature nous est devenue aussi étrangère que l’était le monde des boites lorsque nous nommes nés. Je suis admirative de ces enfants qui écoutent le langage des arbres, qui creusent la terre pour dire bonjour aux petites bêtes, qui peuvent passer de longs moments silencieux et attentifs à observer ce qui les entourent et qui n’ont peur de rien. Je pense sincèrement que nous avons tout à réapprendre d’eux, tout à réapprendre de nous. Notre côté libre et sauvage doit bien se trouver quelque part au fond de notre cœur.