En France, l’instruction est obligatoire de 6 à 16 ans. Le choix de l’instruction en famille est encadré par la loi et soumis à des contrôles : une enquête de la mairie effectuée tous les deux ans et un contrôle pédagogique réalisé par un inspecteur de l’éducation Nationale chaque année. A chaque rentrée, au plus tôt, il est obligatoire de déclarer cette instruction sous peine de sanctions pénales. Nous avons vécu ces dernières semaines ces deux contrôles, c’est donc l’occasion pour moi de partager notre expérience.
L’enquête de la mairie
Légalement, elle est « menée uniquement aux fins d’établir quelles sont les raisons alléguées par les personnes responsables et s’il leur ai donné (aux enfants) une instruction dans la mesure compatible avec leur état de santé et les conditions de vie de famille. »
Cette enquête ne porte pas sur la qualité de l’instruction, dont le ressort est attribué à l’inspecteur, mais sur les raisons qui ont poussé les familles à faire ce choix. C’est là sa principale mission. L’enquête de la mairie peut également poser des questions sur les moyens mis en place et si l’enfant pratique des activités extérieures. Elle n’a pas à questionner les parents sur leur vie privée, leur métier ou leurs revenus. L’enquête n’est pas obligatoirement réalisée au domicile.
Dans les faits évidemment, ce n’est pas aussi simple. L’enquête de la mairie est très souvent déléguée à une assistante sociale. C’est ce dont nous avons fait l’expérience. Et si au téléphone, nous avions demandé à ce que la loi soit respecté et qu’on nous a gentiment répondu que ce serait le cas, le jour de la rencontre avec l’assistante sociale à notre domicile cette enquête de mairie s’est complètement transformé en enquête sociale.
Le problème qui est posé à ce moment-là c’est pourquoi assimile-t-on les familles qui se chargent de l’instruction de leurs enfants à des familles qui rencontrent des problèmes sociaux ? Dans la vie, en règle générale, nous sommes confronté à une assistante sociale quand on a des problèmes financiers, de couple, … La venue d’une assistante sociale dans la famille pose un véritable problème éthique selon moi et si avant de faire ce rendez-vous, je n’en avais pas encore percuté complètement le sens, à l’issu, beaucoup plus. Il est très clair que l’on se sent complètement mis à nu et les questions posées dépassent complètement le cadre légal. Elles portent sur les professions, les revenus, les études, elles tentent d’analyser s’il y a un rejet de la société ou du système. Bien que l’assistante sociale assure que ce n’est pas une enquête sociale qui, elle, serait beaucoup plus poussée, nous avons trouvé que ça y ressemblait beaucoup.
Ceci était notre première enquête de mairie et je comprends maintenant toutes les familles qui se battent pour faire respecter la loi. Dans les faits, les choses vont trop loin. Même si cela ne dure qu’une heure, psychologiquement, c’est très fourbe. Ce qui est sûr pour les prochaines fois, c’est que je ne laisserai pas les services de la mairie renvoyé mon dossier à une assistante sociale et je ne laisserai pas quelqu’un s’introduire chez moi pour analyser notre profil de parents. Nous pensons souvent que coopérer nous permettra de vivre les choses plus sereinement mais finalement pas vraiment. On finit par se sentir bafouer.
L’inspection
Ces derniers mois, la loi a beaucoup changé concernant les contrôles de l’instruction en famille. Plutôt que d’avancer dans une bonne direction de contrôles plus respectueux envers les parents, et de leurs choix pédagogiques, et des enfants, et de leur rythme d’apprentissage, la loi a fait un véritable bond en arrière impactant toutes les familles et d’autant plus celles qui ont fait le choix du « unschooling », comme nous l’avons fait. Dorénavant, l’acquisition des connaissances doit être progressive et continue au regard des attendus de chaque palier d’enseignement et des programmes des classes dont la référence est évidemment le système scolaire français. En outre, l’enfant est systématiquement soumis à des tests écrits et oraux toujours en référence au système scolaire. Je vous conseille cet article super bien expliqué.
Ce qui est aberrant c’est qu’en tant que parent, j’ai choisi l’instruction en famille pour respecter le rythme de mon enfant, ses passions, son humanité, sa créativité, … à l’aube de toutes les recherches en neurosciences et des expériences réussies grâce aux pédagogies alternatives, on en est encore là en France : à retenir ceux qui tentent de faire les choses différemment, ceux qui pensent que d’autres chemins sont possible. Non, la liberté pédagogique n’est pas respecté et j’en ai fais l’amer expérience.
Notre premier contrôle pour Keyo
Si vous suivez nos petites aventures, vous savez que nous pratiquons en très grande partie les apprentissages informels au quotidien. Keyo, comme tous les enfants, est curieux et créatif, il a toujours 1000 idées pour alimenter sa journée. Nous avons fait le choix de respecter ses centres d’intérêt, son rythme, de le laisser faire ses propres découvertes, toujours en étant très présent pour lui, observer ses besoins et enrichir son quotidien.
Pour préparer cette inspection, nous avons posé sur la table du salon quelques livres, les cahiers d’activités qu’il avait commencé à remplir, les outils pédagogiques que nous lui proposons (Les Alphas, les réglettes cuisenaire, …), … tout ce qui pouvait sembler utile au dialogue avec l’inspectrice et assez démonstratif de l’instruction donnée. Grâce à toutes les photos que je prends au quotidien, j’ai également préparé un petit book en expliquant en même temps le lien entre telle activité et les attendus de fin de palier 2 (qui prend en compte le CP, CE1 et CE2).
Par ailleurs, je m’étais aussi notée pour moi-même des points d’idées. Notre quotidien est tellement riche, fluctuant, irrégulier et plein de petits détails que je connaissais le risque de l’oubli. Malgré cela, après coup, je me suis rendu compte que j’avais omis tant de choses. Les questions portent évidemment sur la lecture, l’écriture, les mathématiques, mais aussi sur le comportement, la capacité à s’ouvrir au monde, à la géographie, à l’histoire, aux arts. Mais sur ces dernières thématiques, cela m’a semblé vraiment ridicule. Lorsqu’on me parle d’histoire et de géographie, je pense à l’Histoire et à la Géographie, non pas aux repères dans l’espace et le temps de l’enfant. Et bien c’est cela que veut savoir l’inspection, si votre enfant sait bien qu’hier c’est hier et demain c’est demain, il veut savoir si l’enfant connait bien la date du jour et quel mois vient après celui de janvier. « Mais tout le reste, c’est très bien, tout ce que vous faites, continuez, mais je vous conseille de vous imprégner un peu plus du programme. »
Voilà ce que l’inspecteur vous dit. Et là, on pense : il vaudrait presque mieux que je ne fasse pas toutes les autres choses pour eux tant que je remplis correctement leurs petites grilles. Ce qu’ils veulent ce sont des robots qui connaissent bien tous la même chose et savent les réciter.
Au début, l’inspectrice a vite demandé à Keyo qu’il lise quelque chose. Juste à ce moment-là, je me suis rendu compte que la lettre que j’avais envoyée n’avait servi strictement à rien. Cette lettre qu’on vous propose de faire parvenir avant le rendez-vous pour expliquer vos choix pédagogiques est un leurre. Elle ne sert qu’à nous faire dépenser de l’énergie qui ne sera pas prise en compte. Keyo est allé chercher un livre qu’il connaissait par cœur mais c’est assez facile de s’en rendre compte et j’ai trouvé cela humiliant pour lui. Finalement, la conseillère pédagogique lui a demandé de lire quelques syllabes. Pour un enfant qui ne sait pas lire, je trouve que Keyo s’est bien débrouillé. Même si ce n’était pas fluide, même s’il a fallu notre aide, même s’il s’est trompé. Le connaissant, rien qu’il ait fait l’effort de rester assis et pas leur crier d’aller se faire voir, j’ai trouvé que c’était exceptionnel.
En fait, mon petit homme m’a vraiment impressionnée. Il a fait l’effort à chaque fois, il a essayé. Lui qui dit toujours « mais j’y arrive pas, je sais pas » a tenté. Ces inspectrices n’ont peut-être pas remarqué cela mais moi je l’ai trouvé vraiment exceptionnel et concentré tout en gardant son côté drôle, ce qui plait toujours aux personnes de l’éducation nationale (« au moins il n’est pas timide et renfermé sur lui-même »). Pendant près d’1h30, les questions fusent, les exercices oraux et écrits, les questions aux parents, immédiatement re-posées à l’enfant histoire d’être bien sûr qu’on ne mente pas. Il y a ce va-et-vient de questions snobinardes que je ne supporte pas. Je crois que ça a vraiment été le plus dur pour moi.
Quand est venu le moment « mathématiques », Keyo a vite été à l’aise car il aime beaucoup le calcul mental. Malgré tout, les questions sont toujours posées avec une telle pression. Et puis évidemment, cela ne suffit pas. « Il faut systématiser le passage à l’écrit ». Et oui, on ne remplit pas les cahiers. Mais Keyo adore les mathématiques ! « Oui mais cela n’est pas suffisant, regardez il faut qu’il sache si tel nombre est plus grand qu’un autre en mettant les signes « > » et « <« . Je trouve tout cela tellement insensé.
Pour l’anglais, nous avons acheté un imagier que Keyo aime beaucoup et nous avons expliqué que nous écoutions des comptines. Pour l’éducation du citoyen, ils veulent savoir si l’on transmet bien les valeurs culturelles françaises. Elle ne s’est pas trop attardée là-dessus mais je pense que dans d’autres familles d’origine étrangère cela peut-être plus lourd. Concernant, l’histoire/géo ce qui les intéressait c’était donc de savoir que Keyo connaisse la date, les mois et les saisons. C’était tellement cucu pour lui qu’il a répondu n’importe quoi juste pour les embêter ^^
Pour l’écriture, nous sommes passés dans notre salle de travail étant donné que nous avons un grand tableau noir au mur. C’est un peu notre bon point celle salle (en plus d’Oléia qui les carrément séduite ^^), l’inspectrice et la conseillère pédagogique ont trouvé que c’était une pièce très agréable. Enfin, elles lui ont demandé d’écrire son prénom et celui de sa sœur (aaah les prénoms, ils aiment les prénoms !). Keyo écrit encore spontanément en majuscule (habitudes prises à l’école qu’il faut déshabituer après) alors elle a insisté pour qu’il écrive en attaché mais Keyo n’a pas voulu, il a dit qu’il n’y arrivait pas. Je lui ai fait le modèle en expliquant aux inspectrices que Keyo savait le faire mais n’avait pas envie et se braquait très souvent à l’idée d’écrire. Du coup, nous sommes reparties dans le salon.
Pour conclure, la conseillère pédagogique m’a conseillé la méthode de Danièle Dumont concernant l’écriture et de faire de la lecture syllabique un peu tous les jours, tout en continuant tout ce que l’on fait au quotidien (elle avait bien regardé toutes les photos de notre book). L’inspectrice a réinsisté auprès de nous pour qu’on lise davantage le programme de CP. Elles ont ensuite rassemblé leurs affaires et sont parties.
Au moment de fermer la porte, une seule photo peut vous résumer le sentiment général de ce rendez-vous, c’est celle qui est en une, celle-ci :
Keyo avait profité de notre retour dans le salon pour écrire le prénom de sa sœur en attaché. Et c’est toute la difficulté de ce rendez-vous, de ce monde même dans lequel nous vivons. J’ai l’impression que tout ne fonctionne que sur ce que l’on voit. Nous avions un peu plus d’1h pour démontrer que Keyo savait, que Keyo apprenait, que nous étions des parents attentifs et de bonne foi, respectant l’obligation légale d’instruction. J’ai l’impression que ces inspectrices sont à moitié, si ce n’est complètement, passées à côté de tout ce que l’on fait car elles avaient les yeux trop rivés sur leur écran d’ordinateur et leurs attentes.
Ce petit mot en attaché m’a beaucoup ému. J’ai vu là toute la sensibilité de Keyo, toute sa peur de faire mal, d’attendre que nous soyons parti pour faire seul au cas où il se tromperait, pour faire sans l’œil impressionnant et exigeant des adultes. En fait, si j’ai à retenir un seul avantage de ce rendez-vous c’est que j’ai l’impression de mieux connaître mon fils et que je suis vraiment très fière de lui !
Un enfant se fait tout petit quand le monde lui fait peur, quand il subit une défaite. Pourtant quand un enfant fait quelque chose qui le passionne, il grandit comme un arbre, dans toutes les directions. C’est ainsi que les enfants apprennent, que les enfants grandissent.
Jonh Holt – Les apprentissages autonomes