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Lundi. Première inspection. 9h tapante. L’heure à laquelle, habituellement, nous trainons encore un peu dans la cuisine en pyjama, à tremper nos tartines beurrées dans l’unique bol de chocolat chaud placé entre nous trois, à raconter nos rêves ou nos cauchemars, à se poser des questions sur la vie ou tout simplement sur la journée qui nous attend, à rire d’Oléia qui fait perler le long de son menton le lait chocolaté jusque sur ses petits pieds et Keyo qui se recroqueville comme un escargot sur le tabouret avant de tomber exprès pour la faire éclater de rire.

Ce lundi à 9h nous serons déjà douché, habillé, paré pour accueillir cette inspectrice. Nous ne savons pas qui est derrière cette porte encore, une personne à l’écoute et compréhensive ou alors plutôt froide et exigeante ? Je fais tout pour y penser le moins possible, garder à l’esprit que ce que nous faisons est bon pour nos enfants, qu’ils sont heureux d’apprendre et surtout heureux tout court sans aller à l’école.

Mais il n’y a rien de plus dur que d’avoir des convictions. Je m’en suis rendu compte plus d’une fois en venant ici, en racontant nos emplois du temps, nos rythmes de travail, notre manière de vivre l’école à la maison… L’éducation que l’on donne à nos enfants est si changeante, perpétuellement remise en question, adaptée au rythme biologique de chacun qu’il est parfois inadéquat de poser des mots dessus. Une fois que j’expose mes certitudes, j’ai l’impression qu’elles volent en éclat. En fait, c’est vraiment difficile d’expliquer nos orientations, nos façons de faire car il n’y en a pas vraiment. Je ne suis pas à la lettre une pédagogie, je m’inspire de certaines, j’ai tenté de mettre en place un temps de travail formalisé le matin, mais ça n’a pas fonctionné pour Keyo comme pour moi. J’ai acheté des beaux cahiers, on en a démarré un de nature, un de vie, un sur les histoires qu’on lit mais cela fait plusieurs mois qu’on ne les a pas ouvert. Keyo n’a pas envie d’écrire, il n’a pas envie de dessiner. Ou alors de temps en temps, quand ça le prend ! Mon mari m’a aidé à prendre conscience de cela, lui qui était pourtant plus rassuré par le formel, il m’a dit : “mais pourquoi c’est important pour toi ?”

Oui c’est cela. C’était important pour MOI car moi j’aime écrire, car moi j’aime dessiner, que je suis fan de ces beaux cahiers illustrés que tous ces petits homeschoolers américains ont sur les blogs. Moi qui me suis toujours dit que je ne projetterai rien sur mes enfants, que je ferai toujours attention à garder pour moi ma moral et mes passions, j’ai finalement basculé du côté sombre de la force. Cette force inconsciente qui nous pousse à vouloir le meilleur, notre vue du meilleur, pour nos enfants en oubliant presque toutes ces petites choses du quotidien qui les rendent si uniques, si bruts, si eux.

Nous sommes donc revenus au “unschooling” depuis 2 mois environ. Je n’interviens plus, je laisse Keyo guider ses apprentissages, je le laisse me poser des questions, je le laisse jouer toute la journée s’il a envie, nous lisons des BD à foison et quelques contes le soir. En ce moment, nous ne lisons plus de romans car les enfants et moi-même sommes trop fatigués au moment du coucher. Et depuis que j’ai réappris à lâcher prise, depuis que j’ai accepté cela, j’ai l’impression que nous recommençons à vivre. Je ne suis plus dans l’attente d’un résultat et dans l’organisation d’activités matinales qui prennent un temps fou. La journée est fluide pour tout le monde, les temps formels et informels s’entremêlent sans intervention de ma part. Nous avons retrouvé le sens de cette vie sans école, notre rythme n’est plus imposé, il correspond à nos besoins, à nos envies. Et nos envies sont belles, ouvertes sur un nombre infini de possibilités et de curiosités, sur une soif d’apprendre, de découvrir, de comprendre.

En ce moment, Keyo passe ses journée à danser, écouter de la musique, à faire du calcul mental, à lire ses BD, à jouer avec son hélicoptère électrique et aux jeux de société. Il pourrait également passer de nombreuses heures sur son jeu d’échecs reçu à Noël si on n’abdiquait pas avant lui. Je sais que tout cela ne rentre pas dans les-cases-des-grilles-des-tableaux de l’éducation nationale mais je ne peux pas contraindre un enfant qui n’est pas prêt à écrire, je ne peux pas forcer ses apprentissages, je n’ai pas envie de le snober avec mes savoirs de grande personne comme dirait Ivan Illitch, je veux le laisser prendre conscience de sa vie, lui laisser la possibilité de prendre le temps et surtout qu’il puisse apprendre avec bonheur et fierté.

Début septembre, j’avais donc plein de projets et des nouvelles convictions mais voilà, je travaille à m’éduquer moi-même, du coup mes convictions se sont envolées, remplacées par d’autres. Je me laisse porter par la vie, cette vie que portent mes enfants en eux dont chaque rire, chaque geste, chaque mot, raisonne dans mon cœur de maman.