keyoooooo 628

Je me souviendrai toute ma vie du jour où j’ai su que j’étais enceinte. C’était un mardi.

Je me souviendrai toujours de la tête de ma mère, de sa blague lancée lorsque je suis rentrée du laboratoire avec les résultats “Alors c’est des jumeaux ?!”. Puis de la métamorphose de son visage quand je lui ai dit à demi mot que j’étais enceinte. La surprise, le rire nerveux, les larmes, la joie. Un combo des 4. C’était un mardi du mois de mars.

Ma sœur était là. On s’est pris dans les bras. Ça tourbillonnait un peu. Cet enfant je le voulais tant et je l’ai eu si vite. Finalement, je n’étais peut-être pas si prête que ça. Mais est-on vraiment prêt face à la tornade qui se prépare ? C’était un mardi du mois de mars 2010.

Bien sûr, le papa a été le premier prévenu. Je me souviendrai toujours du texto que je lui ai envoyé avant de l’avoir au téléphone “Bon, dans 8 mois et demi, tu es papa.” Le choc, le silence, le bonheur, la folie. C’était un mardi du mois de mars 2010, j’avais 4 jours de retard.

Je vivais entre Paris et les Landes, mon cœur bien accrochée à la Ville Lumière, mon corps un peu embarrassé de cette campagne dans laquelle je n’essayais même pas de me sentir chez moi. J’avais des projets tout fous, un boulot dans un Journal régional, une volonté de création d’entreprise de Wedding Planner avec des amies et ce bide qui poussait à mon plus grand bonheur. En fait, tout roulait dans ma tête. J’étais heureuse avec ce petit bébé qui grandissait bien au creux de moi. C’était un mardi du mois de mars 2010, j’avais 4 jours de retard. Il faisait doux, le ciel était couvert mais le soleil perçait par endroit.

Au cours d’un de mes voyages à Paris à la fin du premier trimestre, j’ai fais vivre à mon utérus un trajet de trop. Direction les urgences. Je suis gardée en observation la nuit. L’infirmière me dit : “On verra demain matin, vous avez 50% de chance de le garder, 50% de chance de le perdre”. Je prends conscience des limites. Heureusement, mon bébé s’accroche. Je vis les prochains mois très souvent alitée, en complète fusion avec ma mère, elle aussi en rémission après une chimiothérapie. C’était un mardi du mois de mars 2010, j’avais 4 jours de retard. Il faisait doux, le ciel était couvert mais le soleil perçait par endroit. J’étais heureuse.

Première écho sans papa : moi qui croyait dur comme fer que tu serais une fille, je me suis trompée. Le prénom était déjà choisi bien avant ta conception. Tu t’appellerais Keyo, un prénom sorti de nos rêves, un prénom inventé à l’aide de nos prénoms, un prénom pour toi, à ta mesure, que nous n’avons jamais remis en doute. C’était un mardi du mois de mars 2010, j’avais 4 jours de retard. Il faisait doux, le ciel était couvert mais le soleil perçait par endroit. J’étais heureuse. Heureuse et amoureuse.

Les 9 mois sont passés loin de ton papa. J’étais comme une ado chez ma maman. J’étais comme une intrus parmi tous mes copains. J’étais en totale fusion avec toi. Je ne comprenais pas les doutes de mes grands-parents, les “mais tu es tellement jeune !”. Les “mais c’était voulu ?” m’horripilaient. Je vivais une grossesse sereine, sans pouvoir imaginer la suite et en imaginant tout à la fois. Je rêvais d’accouchement naturel, allais à mes cours de sophrologie, lisais des livres comme “Attendre bébé autrement”, visionnais des interviews de Degasquet… Tout cela s’opposait à la réalité des prises de sang, tests de glucose, tatage du col, salle d’attente de l’hôpital, refus de projet de naissance, … C’était un mardi du mois de mars 2010, j’avais 4 jours de retard. Il faisait doux, le ciel était couvert mais le soleil perçait par endroit. J’étais heureuse. Heureuse et amoureuse. Heureuse et amoureuse et insouciante.

La veille de ta naissance, ma sœur et ma mère me laissaient seule pour le WE, partant rejoindre leur conjoint respectif. Il régnait une atmosphère de calme extrême. Au fond, je crois que l’on savait que ce serait le moment. A l’aube du samedi 4 décembre 2010, avec 10 jours d’avance, lorsqu’il n’y avait pas de doute sur les contractions ressenties, j’ai marché seule jusqu’à l’hôpital, passant à travers les vendeurs du marché qui installaient leurs tables, me demandant si tout allait bien. Il était 8h, il faisait froid, mais je ne le sentais pas. Il était 8h et une tempête de neige se préparait. Il était 8h et j’ai détesté cet hôpital. Tout cet hôpital : le monitoring, les touchers vaginaux, l’inscription, cette vieille chambre jaune, le personnel faussement attentionné, ma mère qui me parlait pendant mes contractions, la douleur de l’aiguille de la péridurale puis le soulagement procuré, la tranquillité et les rires au téléphone alors que mon petit homme souffrait pour avancer, le perçage de la poche des eaux, les pieds dans les étriers, la peur de la douleur, le doigt sur le bouton de l’injection d’anesthésiant, les yeux rivés sur l’horloge, Dov arrivant pour les trente dernières minutes, sa main sur ma nuque, la respiration et la poussée forcées, l’absence totale de repères et de sensation, les mains de cette infirmière appuyant sur mon ventre, les regards stressés et stressants sur le rythme cardiaque, les “allez on bloque la respiration”, l’épisiotomie…

Puis, comme dans un film au ralenti, comme une seconde qui dure une heure, te voilà. Tu es là. Moi qui n’arrivais pas à m’imaginer un seul instant à quoi tu puisses ressembler, tu étais le plus beau bébé de la terre entière. A la micro seconde où je t’ai aperçu, je suis littéralement tombée amoureuse. Le coup de foudre total, qui prévient pas, qui nous marque jusque sous la peau.

Je ne vais pas m’étendre sur les suites de couche à l’hôpital qui ont été très pénibles pour moi : douleurs et soins de l’épisiotomie, absence de sommeil de plus d’une heure, pleurs, sentiment de solitude, dégoût de ce corps tout strié, bleuté et dégoulinant, fatigue extrême, allaitement douloureux… Le retour chez ma mère 3 jours après m’a fait du bien même si cela a été de courte durée. Le départ dans ma Provinces où je ne me sentais déjà pas chez moi, a été encore plus dur que ce que je ne le pensais, la difficulté de faire de la place pour le papa alors que j’ai finalement toujours été seule avec mon fils avant comme après sa naissance, surmonter la fatigue et tous les petits et gros tracas, me sentir seule, loin de ma famille et de mes amis, me sentir différente des gens de mon âge… Tout ça a pris du temps, tout ça a été très dur, mais mon fils était tout pour moi et j’étais tout pour lui. Je garde de cette période un sentiment amer et à la fois plein d’émotions. Et si j’aime beaucoup ce proverbe : “La vie est un voyage et non une destination. Il n’y a pas d’erreur, seulement des chances que nous avons prises”, c’est parce que la vie pour moi c’est ça : se jeter complètement dedans, vivre ses émotions, être abattue par des obstacles puis les surmonter, dépasser le sentiment d’échec et toujours considérer que chaque étape amène vers quelque chose de positif. Finalement, il “suffit” d’être patient et de prendre la vie comme elle vient.

C’était un mardi du mois de mars 2010, j’avais 4 jours de retard. Il faisait doux, le ciel était couvert mais le soleil perçait par endroit. J’étais heureuse. Heureuse et amoureuse. Heureuse et amoureuse et insouciante. J’avais 20 ans. Et depuis j’ai grandi, depuis j’ai rencontré d’autres mamans qui ont eu les mêmes difficultés, depuis j’ai compris que devenir parent n’est pas toujours rose, que ce n’était pas à cause de mon âge si c’était dur, c’est parce que devenir maman C’EST dur. Dur car ça chamboule tout, dans notre rapport à nous et dans l’équilibre de notre couple. Dur parce qu’on dort peu, dur parce qu’on a mal, dur parce que notre corps a changé, dur parce qu’il faut du temps pour s’habituer.

Oui c’est une aventure, une partie de mon histoire. Aussi belle que périlleuse.

IMG_2309

Enregistrer