Cela fait plusieurs jours que j’ai enfin fini la lecture de “Libres enfants de Summerhill” d’A.S. Neil et je dois avouer que cela m’a beaucoup remué. Je l’ai même relu une deuxième fois et je me rends compte que je suis toujours entrain de le digérer. Lorsque je lis un livre d’un tel poids, je suis souvent très chamboulée et je me remets en question. Puis au bout d’un certain temps, je n’en garde que ce dont j’ai besoin.

En quelques mots, le livre parle d’amour, de liberté et de respect de l’enfant. Summerhill est une école fondée par Neil et sa femme en 1921 en Angleterre. Elle a accueilli des centaines d’enfants âgés de 5 à 17 ans issus de toutes classes sociales. Fermement opposé à l’école traditionnelle, AS Neil s’est attaché à guérir les enfants “du mal de leur âme” causé par une mauvaise éducation. La religion, les mensonges sur la sexualité, les maltraitances, les moralisations répétées, l’autoritarisme dépassé, … sont autant de chevaux de bataille pour Neil. Connue à travers le monde entier, Summerhill fut la première école auto-gérée.

Je professe l’opinion que le but de la vie, c’est la poursuite du bonheur, c’est-à-dire la recherche d’un intérêt. L’éducation devrait être une préparation pour la vie. Notre culture, dans ce domaine, a échoué. Notre éducation, notre politique et notre économie ne nous mènent qu’à la guerre. Notre médecine n’a pas évincé la maladie. Notre religion n’a pas aboli l’usure et le vol. En dépit de nos prétentions à l’humanitarisme, l’opinion publique admet encore le sport barbare de la chasse. Les progrès de notre ère ne sont que des progrès mécaniques – la radio, la télévision, l’électronique, les avions à réaction. De nouvelles guerres mondiales nous menacent parce que la conscience du monde est encore primitive.”

Fiou ! Ça c’est envoyé non ? Ce passage est le premier paragraphe du chapitre comparant l’école de Summerhill à l’école traditionnelle. Je me suis beaucoup retrouvée dans la philosophie de Neil en ce qui concerne la sur-importance des savoirs académiques. Selon moi, ils ne devraient pas être mis sur un piédestal comme c’est le cas aujourd’hui et depuis (trop) longtemps. A se focaliser sur ce que les enfants apprennent, on en oublie de s’intéresser à ce qu’ils ressentent. L’idée qu’un enfant perd son temps lorsqu’il joue est beaucoup trop ancré dans l’esprit collectif, or “l’étude doit venir après le jeu et (Neil insiste beaucoup) non par le jeu pour être plus agréable au goût”. Car c’est encore mettre tout en haut de la pyramide ce qu’il y a dans la tête. Selon Neil, de nombreux troubles sociaux et émotifs sont dus à la pression exercée sur les enfants. “Étudier est important – mais pas pour tout le monde.

On ne devrait jamais arrêter un enfant qui joue. “Le savoir n’est pas aussi important que la personnalité ou le caractère.” Les enfants de Summerhill sont peut-être moins bons en orthographe ou en arithmétique mais ils sont plus curieux, plus imaginatifs et originaux. Je me retrouve complètement dans cette philosophie. C’est vraiment pour cela que Keyo ne va plus à l’école. Non pas parce qu’à la maison il apprend mieux mais parce-qu’il a le temps de jouer, imaginer, expérimenter, découvrir par lui-même. “Chaque fois qu’on montre comment fonctionne quelque chose à un enfant, on lui vole sa joie de vivre, la joie de découvrir, la joie de vaincre l’obstacle. On l’amène à croire qu’il est inférieur et qu’il a besoin d’une aide extérieure.”

Ce qui m’a principalement touché dans ce livre c’est cet hymne à l’amour, à la joie de vivre, au respect évidemment. J’ai trouvé que les mots étaient justes et aussi durs parfois. Cet homme qui nous parle, tente de nous rendre compte de toute son expérience accumulée avec les enfants. Expérience et savoir que nous n’aurons jamais autant que lui en nous occupant seulement de nos enfants. D’où la nécessité de prendre du recul aussi sur tout ce qui est dit et ne pas culpabiliser parce-qu’on pense s’être trompé. A plusieurs reprises au cours des chapitres, j’aurais aimé pouvoir parlé à M. Neil en vrai. Il m’aurait sûrement rétorqué que les problèmes de mes enfants, sont d’abord les miens et que je devrais aller me faire analyser. Il n’aurait peut-être pas complètement tord… ^^ En tout cas, le mérite de ce livre c’est qu’il m’a fait prendre conscience qu’il fallait que je parle plus encore avec mes enfants et que je mette des mots sur les expériences que nous leur avons fait vivre (exemples : grosse dispute avec le conjoint ou avec quelqu’un dans la rue, arrêt des couches alors que l’enfant n’est pas prêt, avoir menti sur quelque chose, …). Je parle surtout de Keyo qui est l’ainé et avec qui je n’ai pas toujours bien fait. Neil insiste beaucoup sur le fait que les parents doivent savoir avouer leurs torts. C’est la seule façon de guérir vraiment l’enfant. Ce livre invite vraiment à se pardonner. Mea Culpa, gros câlin et chocolat ^^.

La liberté est le sujet n°1 du livre selon moi, c’est même un sujet très philosophique (aaaah le lycée !). Qu’est-ce que la liberté ? La frontière est si fine avec l’anarchie. Même si je ne devrais pas faire d’opposition, je me sens complètement tiraillée entre les petites voix de la bienveillance éducative et en même temps mon besoin de cadre. Or, finalement j’ai trouvé une sorte de trait-d’union dans le livre de Neil. Tout est une question de distinction entre autorité et autoritarisme. L’autoritarisme c’est le fait d’abuser de son autorité, de chercher à l’imposer comme pourrait le faire un tyran. Avoir de l’autorité se distingue par la notion de légitimité. Finalement, avoir de l’autorité c’est gagner le respect des autres car nous sommes reconnus par notre justesse. Être autoritaire c’est nier la liberté des autres, avoir de l’autorité c’est reconnaître celle de tous.

Quel rôle difficile au quotidien. Comment ne pas déborder ? Comment reconnaître la frontière étroite ? C’est toute la question il me semble et c’est celle qui me remue tant. Si je comprends bien, la notion de liberté ramène à la notion d’égalité : je suis libre de ne pas finir mon assiette, pourquoi obliger mon enfant à le faire ? Je suis libre de laisser traîner mes chaussettes, pourquoi demander perpétuellement à mon enfant de ranger ses affaires ? Je suis libre de faire “plus tard”, pourquoi demander à mon enfant “tout de suite” ?

A Summerhill, les chambres n’étaient pas inspectées, les enfants s’habillaient comme ils le voulaient, le rangement n’était pas obligatoire. Il n’y avait pas de discipline, de suggestions, de morale et d’instruction religieuse. Adultes comme enfants avaient le même poids dans les décisions quotidiennes et la majorité l’emportait. Ceci est la liberté. Ceci, selon Neil, permet à l’enfant de grandir dans le respect et la reconnaissance de son être, donc grandir dans la joie. “Lorsque les enfants sont en liberté, ils n’ont pas autant de haine à exprimer que les enfants opprimés […]. Et la haine engendre la haine, comme l’amour engendre l’amour.”

A la suite de ce premier livre, AS. Neil en a publié un autre intitulé “La liberté pas l’anarchie”. Il a ré-insisté sur le sens qu’il donnait à la liberté car beaucoup de parents la confondaient avec l’anarchie. Celle-ci donne lieu au désordre car les enfants ont tous les droits. Or, personne, sinon le tyran, n’a tous les droits. “Le foyer équilibré est celui où les enfants et les adultes ont des droits égaux.” Il faut parfois se faire “violence” pour laisser l’enfant vivre selon sa nature. J’entends par là qu’il faut savoir réprimer nos petites voix dans la tête qui nous dictent la bonne morale et réfréner nos besoins d’intervenir dans l’espace de nos enfants. Dans les faits, nous sommes plusieurs à vivre sous le même toit et chacun a le droit au respect de sa personne et de ses objets. Mettre des limites permet à tous de faire des compromis : “d’un côté, je ne suis pas d’accord pour que tu t’amuses avec mon ordinateur car ce n’est pas un jouet et j’ai peur que tu le casses, de l’autre, je n’interviendrai pas dans ta chambre pour te demander de la ranger.”

De plus, il faut savoir que, tant qu’on maintient une interdiction envers quelque chose, cela a tendance à entretenir un intérêt fort pour la chose en question (je ne suis pas d’accord pour l’ordinateur mais je veux bien que tu manipules mes lunettes avec précaution). Il suffit de laisser l’enfant épuiser tout son intérêt et il passera à autre chose. Autre exemple, l’intérêt des enfants pour l’eau est normal. Depuis qu’Oléia a manifesté son intérêt pour l’eau, je l’ai accompagné à travers celui-ci, je lui ai laissé mettre les mains dans son verre, renverser le verre sur la table et puis lui proposer de m’aider à éponger ; je l’ai laissé transvaser, patouiller dans une bassine autant qu’elle le voulait. J’observe maintenant qu’elle passe à côté des flaques d’eau sans y prêter attention alors que d’autres enfants se ruent dedans pour faire leurs expériences (malgré les interdictions de leurs parents).

Le plus difficile est de trouver un juste milieu entre ce que l’on se sent capable de consentir, d’accepter et ce qui ne l’est pas. Car si l’on dépasse nos propres limites, nous pouvons devenir violent (dans les gestes ou la parole). Un enfant demande beaucoup de disponibilité et de liberté si nous voulons l’élever dans la bonne humeur, mais cela ne doit pas aller contre notre propre bien-être non plus. “Apprendre est un processus d’acquisition des valeurs du milieu ambiant. Si les parents sont honnêtes et moraux, leurs enfants, en temps voulu, seront de même.”

La liberté peut vite devenir un mot détestable comme le dit Paul Valéry, “qui a plus de valeur que de sens, qui chante plus qu’il ne parle, qui ne demande plus qu’il ne répond“. Je pense qu’il est donc important que chacun définisse ce que signifie être libre et, lorsque les enfants sont en âge de parler, de penser collectivement cette question. La liberté devenue anarchie est une liberté qui a perdu son sens. Quand je me sens perdue par toutes les lectures éducatives que je fais, j’en parle avec mon conjoint qui a gardé cette simplicité, ce bon sens que l’on peut parfois perdre à trop écouter les uns et les autres. Finalement, on se met à suivre des idées qui ne sont pas les nôtres et l’on peut créer un déséquilibre dans notre foyer. Il faut distinguer les actions que mènent l’enfant pour apprendre, pour devenir autonome, pour grandir de la bonne façon, de celles que mènent l’enfant pour tester les limites. Et la liberté a des limites, celles où commence la liberté des autres.

Il n’est pas grave de se fâcher contre un enfant quand on est à égalité avec lui.” Pour ma part, à force d’avoir lu des livres sur la parentalité positive, j’ai perdu mon bon sens à cause de mauvaises interprétations. Me fâcher était devenu quelque chose de négatif or c’est seulement l’expression d’un sentiment. J’ai commencé à dire “stop” au lieu de dire “non” parce-que ça fait moins peur à l’enfant. J’ai arrêté de féliciter mes enfants parce-que les “bravo” c’est mauvais pour la confiance en soi. J’ai modifié beaucoup de choses chez moi en ayant suivi les dires des autres comme un dogme, or je me suis privée aussi à ce moment-là de ma liberté. Attention, je ne critique pas la communication non-violente, la parentalité positive ou tous les noms qu’on lui donne. Au contraire, je dirai même que ça a fait avancer beaucoup de choses en moi, mais il peut y avoir des interprétations provoquées par des ressentis individuels qui peuvent amener à quelques travers. Je prends des pincettes en disant cela car je risque d’en faire hurler plus d’un et je ne tiens pas à ce que mes propos soient mal perçus. La parentalité positive est une démarche globale qui ne se résume évidemment pas aux quelques exemples donnés plus haut. Ce que je veux tout simplement dire, c’est que la tête ne doit pas s’éloigner du cœur. Et moi, dans mon cœur, il y a les encouragements, les “bravo mon chéri, c’est super ce que tu fais”, l’instinct et l’amour. L’amour doit être le seul guide.

Je finirai cet article sur ce joli passage :

L’amour, c’est être du côté de l’autre. L’amour, c’est approuvé. Je sais que les enfants sont longs à comprendre que la liberté est quelque chose d’entièrement différent de l’anarchie. Mais ils sont capables de le comprendre. A la longue, ils le comprennent – presque toujours.

Avez-vous lu “Libres enfants de Summerhill” ? Qu’en avez-vous penser ?

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